Les chercheurs ont analysé les rapports au livre des différents groupes sociaux de l'Estonie. C'était un sujet d'étude très répandu, fournissant des sujets d e mémoires dans le contexte soviétique des années 1970 et 1980 et de thèses dans l'Estonie des années 1990. Ils se sont penchés sur les fréquences de lecture par types d'ouvrages, sujets ou préférences. Ils ont analysé le rôle joué par les bibliothèques et leur capacité à satisfaire les besoin s des lecteurs. Tout cela fournit la matière de base du présent exposé. Cependant, un fait majeur a permis l'étude des pratiques de lecture : la généralisati on précoce de l'instruction et le prestige qu'exerce depuis longtemps l'écrit chez les estoniens.
L'impact de l'écrit sur la culture nationale de l'Estonie
Tout au long de leur histoire, les estoniens ont attribué une forte valeur culturelle aux livres imprimés dans leur langue. La culture nationale a été liée au liv re avant tout par les traits spécifiques de l'histoire du pays:
La répartition en masse compacte de la population a aussi contribué à le rapprocher du livre. Les estoniens vivent depuis plus de cinq millénaires sur les rives de la Bal tique. C'est pourquoi on peut dire que les livres et la lecture ont joui d'un prestige de longue date. C'est le résultat de l'alphabétisation précoce combinée à l'h&eacut e;ritage luthérien et l'homogénéité culturelle du pays.
Les efforts consacrés à la lecture dans les années 60 et 80
Les premières études sociologiques sur la lecture datent des années 60, que l'on qualifie d'âge d'or. Pourtant malgré les changements sociaux et l'accroissement des activités culturelles, le prétendu "dégel" ne fit pas de printemps. Il arriva exactement le contraire : les pressions d'une idéologie totalitaire et de la censure ne se r elâchèrent pas. La production de livres se russifia de plus en plus, l'édition en estonien ne proposa plus qu'un choix restreint de livres, et un nombre limité de titres fu t publié en quantités excessives. Malgré ces handicaps, l'intérêt des estoniens pour les livres ne baissa pas et leur vie culturelle s'intensifia. L'intér&eci rc;t du public s'accrut des années 60 au début des années 1970 puis se stabilisa dans les années 80. Les chercheurs ont assigné les raisons suivantes à cet & eacute;tat de fait:
Des années 60 aux années 80, les estoniens délaissèrent les bibliothèques. Le nombre d'usagers des bibliothèques de lecture publique diminua alors qu'augmen ta l'utilisation des bibliothèques familiales. Dans la même période le nombre de bibliothèques pour 10000 habitants descendit à 4,8 (en 1937, avant la guerre, il &ea cute;tait de 6,4.)
On acheta de plus en plus de livres. Leur possession était un facteur de prestige, ils étaient relativement bon marché, de sorte qu'au début des années 80, poss&ea cute;der ou lire des livres était devenu un privilège relativement répandu dans la communauté estonienne. Les chiffres témoignant du vaste usage de la lecture attei gnirent un sommet vers la fin des années 70. C'est cette période qui constitue l'apogée aux yeux des chercheurs.
Le changement des pratiques de lecture à une époque de mutations sociales décisives
Les mutations décisives de la société soviétique des années 80 ne se fiorent sentir qu'en 1988 en Estonie. Les estoniens commencèrent à prendre une p art active à la vie sociale, l'intelligentsia créative était très sensibilisée aux problèmes sociaux et possédait à présent les moyens de mettre en oeuvre ses idées. La fin des années 1980 a été qualifiée de deuxième éveil national. On l'a comparée aux années 60 du siècle dernier, époque o× l' intelligentsia nationale s'est constituée avec l'essor du nationalisme dans la culture et de l'education en langue estonienne. Le deuxième éveil national permit au pays de reco uvrer son indépendance au seuil du XXIème siècle. Les années 1987 1990 sont l'époque de la Révolution en chantant. L'intérêt pour la politique et la presse s'éveilla brusquement, les sociétés p roliférèrent (beaucoup d'associations professionnelles ou de loisirs furent fondées ou reconstituées, les aspirations unitaires se firent sentir dans de nombreux milieux c ulturels), la conscience nationale fut renforcée. Les chercheurs affirment que l'intérêt pour les livres déclina rapidement à la fin des années 80 car toute l'attention se concentrait sur la presse et les év énements politiques. L'engagement politique actif ne cessa de se répandre. Le souhait d'une participation active à toutes sortes d'activité remplata la passivité e t le désintérêt d'antan pour l'évolution de la société.
Les changements sociaux des années suivantes affectèrent l'envie de lire et l'intérêt pour la lecture. la République d'Estonie se proclama à nouveau ind&eacu te;pendante en Août 1991, Juin 1992 vit l'introduction d'une nouvelle monnaie (la couronne estonienne) des élections libres et démocratiques, présidentielle et parlementair e eurent lieu en Septembre 1992. Pourtant, la transition vers de nouvelles relations socio économiques a mis en danger la culture. A son début, le passage à l'économie de marché déclenche souvent une lutte économique. Il en résulte qu'au début des années 1990 la politique et les affaires ont éclipsé la vie cultur elle de haut niveau. Actuellement, le bouillonnement social a fait place à l'apathie. La population doit faire face aux fin de mois dificiles, au risque du chômage. L'insécurité écono mique et sociale est source de tension. Elle n'encourage pas la consommation culturelle et inhibe la pratique de la lecture. De nos jours en Estonie, certains n'ont pas le temps de lire et les autres n'en ont pas envie.
La culture de masse qui s'est substituée au modèle hyper idéologique des dernières décennies a un impact considérable. Encore une fois l'Estonie se voit con trainte de sauvegarder l'intérêt de son peuple pour la culture, ses réalisations de haut niveau ainsi que sa spécificité ethnique.
L'instabilité des habitudes de lecture à une époque de mutation
Les changements socio économiques de ces dernières années ont malheureusement réduit le nombre de lecteurs dont l'activité a sensiblement baissé. Le questi onnaire mené par l'Institut de Philosophie, de sociologie et de droit de L'Académie des Sciences d'Estonie en 1985 et 1993 permet d'analyser les rapports quantitatifs et qualitatifs au livre. Elle aborde les aspects suivants :
La comparaison des résultats montre qu'entre 1985 et 1993, la lecture a décliné dans son ensemble. En 1984, 2% de la population en âge de travailler n'avait lu aucun livre . En 1992 la proportion était passée à 11%. L'année dernière, un estonien sur quatre n'avait lu qu'un ou deux livres, (contre 7% en 1985) et il n'y avait plus qu'un estonien sur 5 pour lire plus de 12 livres par an (contre 29% en 1985). Il faut en conclure qu'un estonien sur deux est un faible lecteur ne lisant que d'un à cinq livres.
La lecture a baissé dans toutes les couches sociales. L'analyse montre que l'abandon de la lecture touche dans la plus large mesure les campagnes, les personnes âgées et celles d ont le niveau d'instruction est le plus faible (5)
Les différences par sexe montrent que ce sont les hommes qui lisent sensiblement moins. 3% d'entre eux n'avaient lu aucun livre en 1985. En 1993, le pourcentage atteignait 15% (les chiffres c oncernant les femmes étaient respectivement de 2 et 8%).
Le contenu de la lecture
Dans les années 1990, le déclin de la lecture affecte surtout les oeuvres romanesques et leurs lecteurs. En 1985, 4% des personnes interrogées n'avaient pas lu de roman l'ann&ea cute;e précédente. En 1993, le chiffre correspondant s'élevait à 11%. Dans le même temps, le déclin de la lecture s'observe à des degrés divers selon l'âge, le sexe, l'éducation, le lieu d'habitation et le statut social des personnes interrogées.
L'analyse des autres genres révèle une augmentation de la lecture des ouvrages documentaires et de vulgarisation scientifique. En 1985, les lecteurs d'ouvrages documentaires constituai ent 9% de la population en âge de travailler. En 1993, le chiffre atteignait 27%. On peut en conclure que le changement récent portait sur le contenu, passant du roman au documentaire. Ces changements indiquent clairement que le besoin de lecture rationnelle croet très vite. La lecture qu'on peut qualifier d'utilitaire, qui permet de mettre immédiatement en pratique les connaissances acquises est devenue une réalité. L'autoformation professionnelle est parvenue au rang d'enjeu capital pour qui veut garder ou atteindre le statut social auquel il asp ire.
Parallèlement, l'intérêt pour l'éducation continue extra professionnelle n'a cessé de croetre. Il arrive souvent que le travail correspondant aux qualifications per sonnelles ne couvre pas les dépenses quotidiennes. Pour augmenter son niveau de vie on a recours à l'étude des langues étrangères, des principes de comptabilit&eacu te; ou d'informatique, etc. Ces dernières années, la psychologie, la parapsychologie et l'astrologie sont devenues des thèmes de lecture populaires. L'apparition d'un lecteur pra gmatique témoigne des changements sociaux qui ont commencé à affecter une grande part de la population en âge de travailler.
Les mass media ont eux aussi subi un changement considérable. Tandis qu'en 1985 l'Estonie ne disposait que d'une seule chaene de télévision en langue nationale, elle en avait 3 en 1993 en plus des chaenes sur câble ou par satellite. Les autres équipements audiovisuels, vidéo, ordinateurs, jeux électroniques, font maintenant partie intégrant e de la vie quotidienne. Il en résulte que la lecture est devenue une activité plus fragmentaire, occupant moins de temps, et dont le contenu a changé. Dans l'Estonie des ann&eac ute;es 1990 on passe moins de temps à lire et bien davantage à regarder la télévision. Ceci se manifeste particulièrement chez les jeunes femmes, pour qui la t&eacu te;lévision, ses films, feuilletons et histoires à l'eau de rose se sont substitués aux romans. L'analyse du commerce du livre met en évidence une tendance à acheter moins de livres et à les choisir plus prudemment. Les livres sont devenus beaucup plus chers. Les gens qui autrefois achetaient et détenaient chez eux presque toutes les nouveautés se trouvent dans une situation o× la baisse du niveau de vie influe sur leurs habitudes. L'introduction de la m onnaie nationale, un an avant l'étude de 1993, a déclenché une hausse considérable des prix et la vie est devenue très compliquée pour des raisons éc onomiques. Cela explique pourquoi 28% des estoniens n'ont acheté aucun livre cette année, la moitié de la population se bornant à en acheter de 1 à 4. Les estoniens ont dû dépenser davantage en denrées de première nécessité et changer leurs habitudes de consommation, ce qui les amenait tout naturellement à renonce r aux achats de livres. Les données de l'Institut estonien de recherche sur la consommation pour l'année 1992 le prouvent également. Plus d'un tiers des personnes interrogé ;es avait renoncé à tout achat, le reste avait commencé à limiter des achats.
Les préférences littéraires des estoniens
Les études précédentes ont montré que le genre favori des estoniens est le roman traditionnel. La liste des préférences établie par l'étude de 1993 est la suivante: le roman traditionnel a conservé sa place au sommet, suivi dans par les récits d'aventure, les livres documentaires et historiques, la poésie fermant la ma rche. Par rapport au passé, les préférences n'ont que peu évolué. L'hypothèse selon laquelle les récits d'aventures ou les textes professionnels conna itraient un gain de popularité foudroyant ne se vérifie que dans le cas de certaines personnes de moins de trente ans. Les jeunes se sont miueux adaptés aux changements intervenu s dans leur monde professionnel. Le terme "livres favoris" décrit, dans les enquêtes, le choix conscient des lecteurs parmi les titres disponibles. C'est dans cette acception du terme que l'on peut analyser dans son en semble la faton dont est retue la littérature en Estonie. En bref, les tendances suivantes ont été mises en évidence:
L'accés au livre Possibilités et responsabilité des bibliothèques
Les bibliothèques ont un rôle de plus en plus important à assumer dans la mesure o× elles proposent l'écrit au public alors que les anciens modes d'acquisition des livres ont cessé de fonctionner. La bibliothèque, institution qui offre l'écrit et l'information gratuitement, a acquis de nouvelles fonctions et de nouvelles responsabilités dan s la société estonienne d'aujourd'hui.
Les études montrent une plus forte utilisation des bibliothèques dans la population en âge de travailler (51% en 1987, 51% en 1993) Les jeunes lecteurs des villes sont responsabl es de cette augmentation.
Dans une société qui évolue vers l'économie de marché, la bibliothèque de lecture publique est la seule institution à offrir des services gratuits &a grave; tout le monde. Les bibliothèques ont gagné en popularité et les services offerts sont devenus plus nécessaires. Elles assument un rôle croissant de documentat ion juridique et de centres d'information.(6) Les bibliothèques familiales étaient autrefois le lieu o× l'on inculquait aux enfants le goûût de la lecture. Aujourd'hui, avec le prix élevé des ouvrages, on achète moins de livres pour enfants et on utilise beaucoup plus les bibliothèques pour la jeunesse. Un tiers des usagers des bibliothèques de lecture publique sont des enfants. Ces deux types de bibliothèques une lourde responsabilité : créer un fort attachement au livre chez les lecteurs du futur.
En Estonie, les changements intervenus dans les pratiques de lecture montrent combien est fragile la tradition culturelle. La liberté de lire, partie intégrante de la liberté de pensée, a commencé à produire ses effets sur l'Estonie et son peuple.
Bibliographie
1) Lott, M., M¸ldre, A. A brief history of Estonian book (Une histoire brève du livre estonien) Talinn, 1993
2) Norberg, A. On motivation and methods of reading research. Advancing reading in multicultural countries. [Objectifs et méthodes de la recherche sur la lecture. L'évolution de la lect ure dans les pays à population multiculturelle.] Table ronde de l'Ifla sur la recherche. Tallinn, 1992, p 96 99.
3) Hansen, H. (1989) Kirjastuspoliitika ja rahvuskultuuri areng. Akademia 2. Lk.258 279 [Politique d'édition et développement de la culture nationale]
4) Lauristin, M., Vihalemm, P. (1986) Raamatunôdlus ja kirjanduskultuur. Keel ja kirjandus 7. lk. 385 393. [Demande de livres et littérature]
5) JSrve, M. (1994) Muutused raamatute lugemises Eestis 1966 1993. Magistrit¸¸. Tartu, 1994. [Les changements des pratiques de lecture en estonie de 1966 à 1993. Thèse de 3ème cy cle]
6) Valm, T. (1993) Estonian libraries of today [Les bibliothèques estoniennes aujourd'hui]. Scandinavian public library quarterly. vol. 26, n°4, p. 6 10 ion du terme que l'on peut analyser dan s son ensemble la faton dont est retue la littérature en Estonie. En bref, lÇäyât(¨rd¨o_mô_jB
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