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62nd IFLA General Conference - Conference Proceedings - August 25-31, 1996

Origines et Genese du Braille dans le Monde

Frédéric Plain-Japy
Association Valentin Hauy pour le bien des Aveugles
Paris, France


PAPER

LES ORIGINES DE L'ECRITURE TACTILE:

Qui n'a pas remarqué dans un film, à la télévision dans un transport,... un aveugle faire glisser ses doigts sur une feuille de papier recouverte d'une multitude de petits points en relief. Cette opération, un peu mystérieuse pour le clairvoyant, s'appelle la lecture tactile.

Si de tous temps les aveugles ont eu recours au toucher pour suppléer l'absence de vision, les premiers essais d'écriture tactile remontent à la seconde moitié du XVIIe siècle. Ils n'eurent alors aucune suite. Ces tentatives furent reprises un siècle plus tard et surtout pendant la première moitié du XIXe siècle. Trois français: Valentin HAÜY, Charles BARBIER de la SERRE et Louis BRAILLE se sont relayés pour aboutir au système qui est maintenant utilisé par les aveugles dans le monde entier. L'apport de chacun d'entre eux est précisé dans ce qui suit.

Valentin Haüy "Premier instituteur des aveugles.

Valentin Haüy est né le 13 novembre 1745 à Saint-Just en Chaussée, petit village à 35 kilomètres à l'Est de Paris. En 1751 sa famille s'installa à Paris, ce qui lui permis de faire et de réussir ses études à l'Université. Ses goûts le portèrent vers l'étude des langues, : Outre le latin , le grec et l'hébreu, il en arriva à pratiquer une dizaine de langues vivantes. Il gagna sa vie de la traducti on de documents, officiels, notariés commerciaux ou privés, et pu bientôt se prévaloir du titre d'interprète du Roi, de l'Amirauté et de l'Hôtel de ville.

Antérieurement, il avait été élu Agrégé, puis Membre du Bureau Académique des Ecritures, que venait de fonder Louis XVI. Car, il est important de le souligner, il s'était également fait une spécialité du déchiffrement des manuscrits anciens, français ou étrangers, et des graphies secrètes . Dès 1771, les préoccupations du Lieutenant de Police l'avaient orienté vers l'étude des systèmes codés; sous la Révolution, il est affecté au dépouillement de la correspondance en langues étrangères et des messages chiffrés, accumulés à la Maison des Postes; et dix ans plus tard, lors de la conspiration de Cadoudal, sous un Gouvernement qui pourtant ne l'aimait guère, on fait encore appel à son talent.

C'est, croyons nous, ce goût pour les moyens d'expression qui le conduisit à s'intéresser, d'abord aux sourds muets, en curieux, et puis, à fond cette fois, aux aveugles. Puisque ceux ci avaient l'usage de leur langue maternelle, il lui semblait que leur cas ne soulevait qu'un seul problème: Comment leur permettre de lire ? Il avait près de quarante ans lorsqu'il en aborda l'étude et lui donna un e solution.

C'est qu'au printemps de 1784, Haüy se mit à l'oeuvre. Son premier élève, son «coup d'essai », fut un jeune mendiant qui s'appelait François Lesueur.

La grande idée d'Haüy était de faire lire les aveugles. Dans cette intention, il fit réaliser des caractères spéciaux, car ceux des typographes, trop petits et nécessitant une lecture en miroir, ne convenaient pas. Avec ce matériel, Lesueur apprit à lire, composa des phrases, acquit les rudiments de l'orthographe et, en disposant des chiffres dans un casier, s'assimila la pratique des quatre opér ations. Intelligent, désireux de se relever et mû par ce puissant moteur affectif, il fit de rapides progrès. Haüy l'avait pris en main à la Pentecôte, qui, en 1784, tombait le 31 mai; dès septembre, il annonçait le succès de son entreprise dans le Journal de Paris, et le 18 novembre, ce fut la mémorable démonstration devant le Bureau Académique des Ecritures. Grâce à son frère, élu à l'Académie des Sciences, l'année précédente, Valentin put immédiatement intéresser cette compagnie à ses travaux et obtenir d'elle des encouragements.

Lesueur lisait, calculait, reconnaissait les Etats sur une carte, et les figures qu'on lui présentait, gaufrées sur un carton. La preuve était faite. En janvier 1785, Haüy est nommé membre de la Société Philanthropique, qui lui confie l'instruction de ses douze protégés. Son logement de la rue de Viarmes, où il avait reçu Lesueur, étant devenu trop petit, à ses frais il en loue un plus grand rue Coquillière. Un an plus tard, le nombre des élèves ayant encore augmenté, la Société Philanthropique réunit école et atelier en une même maison, rue Notre Dame des Victoires. L'Institution des « Enfans » Aveugles était née.

Avant cette date, ça et là et à diverses époques, quelques aveugles avaient eu accès à la culture. Mais, ils ne constituèrent jamais qu'une exception et il s'agissait toujours d'une formation par voie auditive et d'une éducation particulière dispensée uniquement à des fils de familles aisées. La grande originalité de l'entreprise d'Haüy résidait dans l'ouverture d'une véritable école où un enseig nement collectif gratuit s'adressait au tout venant des victimes de la cécité, aux filles aussi bien qu'aux garçons, et non plus seulement à des privilégiés de la fortune ou de l'intelligence.

Originale aussi l'idée qu'eut Haüy de gaufrer le papier à l'aide des caractères qu'il avait fait fondre. Sa grande préoccupation fut de produire des livres en exemplaires multiples. Il voulait que chaque aveugle eût « sa bibliothèque ». Il fit construire une presse appropriée au tirage en relief, à laquelle il adjoignit un dispositif permettant de noircir les caractères saillants, quitte à les re pousser ensuite (C'est sous cette forme que se présentent les deux premiers ouvrages qu'Haüy fit imprimer par ses élèves: Essais sur l'Education des Aveugles (1786) et Notice Historique sur l'Institution des "Enfans" Aveugles (1781)). C'est sous cette forme que se présentent les deux premiers ouvrages qu'Haüy fit imprimer par ses élèves: Essai sur l'Education des Aveugles (1786) et Notice historique sur l'Institution des "Enfans" Aveugles (1781). Ainsi pensait-il, les aveugles pourraient imprimer, non seulement à leur usage, mais aussi pour le service des voyants, et comme il rêvait déjà de faire de ses élèves des professeurs d'enfants voyants, ceux ci disposeraient exactement du même livre que leur maître.

En vérité, si elle convient à l'oeil, la forme des caractères traditionnels se prête mal à une identification rapide par le doigt, et les abréviations imaginées par Haüy, si elles diminuaient un peu l'encombrement, n'amélioraient guère la vitesse de lecture.

D'ailleurs, avec ce procédé, uniquement conçu pour l'impression, écrire revenait à un véritable travail de composition typographique. Aussi, pour la correspondance entre aveugles et voyants, Haüy comptait-il beaucoup sur sa « Table à écrire », au moyen de laquelle, s'aidant d'une plume d'acier au bec non fendu, l'aveugle, croyait il, pourrait tracer au recto les lettres manuscrites ordinaires, tout en produisant au verso une marque tangible lui permettant de se relire. Malheureusement l'expérience a prouvé que les appareils de ce genre, aujourd'hui connus sous le nom de « guides main » et dont on a imaginé de nombreux modèles, ne sont praticables que par les sujets ayant pu écrire avant de perdre la vue.

L'enthousiasme avec lequel, quarante ans plus tard, les jeunes aveugles accueillirent l'alphabet Braille témoigne de l'imperfection de la solution proposée par Haüy au problème de la lecture digitale. Mais cela ne diminue en rien les mérites du précurseur. Sans lui, en 1819, à la date où Louis Braille entra à l'Institution Royale, il n'y aurait sans doute pas eu d'école pour jeunes aveugles; Brai lle serait demeuré dans son village, analphabète et inculte, et Dieu sait qui aurait trouvé le procédé convenant exactement aux impératifs de la psychologie tactile. Rue Notre Dame des Victoires, on ne visait pas seulement à instruire: on avait des préoccupations professionnelles, on croyait au relèvement par le travail. Les élèves filaient, tordaient de la ficelle, tramaient des sangles, fabriquaient des filets, tricotaient. Ils imprimaient, en relief et « en noir ». A la fin de l'Essai sur l'Education des Aveugles, on trouve une dizaine de spécimens de trav aux typographiques (billets d'invitation et de faire part, factures, prospectus) exécutés par les aveugles. Quant à la musique, pour laquelle il envisagea pourtant la production de partitions en relief, elle ne fut d'abord regardée par Haüy que comme une distraction; mais elle devait bientôt devenir un outil de propagande.

En ces temps, où l'éducation de masse des enfants aveugles était une innovation et où il fallait dissiper le scepticisme qu'elle suscitait, l'information du public était une nécessité. Aussi faut il pardonner au pionnier la multiplicité des exhibitions auxquelles il soumettait ses élèves. Dès le départ, il s'était donné pour but de « mettre sans cesse les aveugles en relation avec les clairvoyants ». Au nom de ce principe, il avait rejeté les appareils à calculer de Saunderson et de Weissenburg, qui n'utilisaient pas les chiffres ordinaires. S'il avait vécu assez longtemps pour le connaître, il n'aurait probablement pas davantage admis l'alphabet Braille, si différent de celui de tout le monde.

Haüy, Barbier, Braille: au terme de cette évocation dédiée au premier d'entre eux, il nous il est émouvant d'évoquer le parcours de ces trois hommes qui travaillèrent successivement à doter les aveugles d'un instrument de culture. Mais il nous faut souligner que, quelle qu'ait été l'importance qu'on lui a accordée, Haüy ne s'est pas borné à considérer cet aspect de leur intégration dans la société des voyants. Dans le cadre des moyens économiques de l'époque, il s'est ingénié à en faire des producteurs. Sans doute sa méthode de lecture a t elle été finalement supplantée par une autre, plus appropriée; sans doute les métiers qu'il a envisagés ne correspondent ils plus aux exigences de notre civilisation industrielle; sans doute, par la création de la première école spéciale, a t il orienté l'enseignement des aveugles dans la voie de la ségrégation scolaire et de l'éducation en vase clos; sans doute encore, sa pédagogie, au demeurant livresque et verbale, s'est elle révélée assez peu originale; sans doute enfin n'a t il pas pressenti les déviations de la personnalité, auxquelles expose la cécité, ni comment travailler à s'y opposer. Mais il serait injuste de le juger suivant notre perspective d'homme du XX siècle, héritiers et bénéficiaires des progrès gigantesques de la psychologie, de la sociologie et de la technique. Dans le système des conceptions de son temps, Valentin Haüy a introduit une idée nouvelle et il en a fait une réalité, dont l'essaimage rapide à travers l'Europe atteste à la fois l'utilité et la fécondité: Liverpool (1791), Vienne (1804), Berlin et Pétersbourg (1806) Amsterdam (1808), Dresde (1809), Zurich(1810),Copenhague (1811) pour ne parler que des écoles ouvertes du vivant du novateur qui disparut le 19 mars 1822.

Par dessus tout, derrière l'inventeur, avant le créateur, il y eut l'homme de coeur, celui qui a sincèrement aimé les aveugles, qui a cru en leurs possibilités, qui les a défendus. Au lieu de les dominer de la supériorité de sa vue, de se contenter de les protéger, il se les est associés, leur insufflant ainsi cette vertu, une juste confiance en soi, sans laquelle on abandonne la lutte quand on a tout de même quelque raison de douter de ses armes. Rien que pour cela, il mérite qu'on ne l'oublie pas.

Charles Barbier de La Serre inventeur de l'écriture nocturne.

L'année même (1819) où Louis Braille était admis comme élève à l'Institution Royale des Jeunes Aveugles (il avait dix ans), un autre personnage, Charles Barbier de La Serre, s'intéresser à l'écriture des aveugles. Nous étendre un peu longuement sur le rôle indéniable joué par Barbier dans la genèse du système Braille, ce n'est nullement diminuer les mérites de Louis Braille.

Curieux personnage, à la vérité, que ce Barbier de La Serre ! L'un de ces utopistes que l'on trouve presque toujours à l'origine des idées fécondes ! Il naquit à Valenciennes, le 18 mai 1767. Son père, contrôleur des Fermes du roi, profitant d'une disposition qui ouvrait les écoles militaires, le fit admettre en 1782 dans l'une de ces écoles (Il apparaîtrait que cette école fut celle de Brienne. S'il en est vraiment ainsi, il eut pour condisciple Bonaparte qui, comme on le sait, séjourna à Brienne de 1779 à 1783.). I1 en sortit officier d'artillerie. Quand la Révolution éclata, il émigra en Amérique où, nous dit on, il gagna sa vie en exerçant le métier d'arpenteur, et séjourna parmi les Indiens Peaux Rouges.

Il rentra en France lorsque l'Empire eut ramené quelque stabilité dans le pays. C'est alors qu'il se passionne pour les problèmes d'écriture rapide et secrète. Nous sommes aux temps héroïques du télégraphe optique des frères Chappe, dans un pays perpétuellement en guerre, où il faut faire preuve d'autant de célérité que de discrétion, informer Napoléon qui guerroie en Espagne que l'Autriche attaq ue sur le Rhin. En 1808, Barbier publie un Tableau d'expédiographie et, l'année suivante, ses Principes d'expéditive française pour écrire aussi vite que la parole.

Fait important à noter pour le problème qui nous intéresse, cette dernière brochure décrit un procédé dit d'écriture coupée pour suppléer la plume ou le crayon et exécuter plusieurs copies à la fois sans tracer de caractères. S'il n'est nullement question d'aveugles dans l'opuscule de 1809, on voit que l'auteur s'y préoccupe déjà de lancer une écriture tangible simple, tracée au canif. Ancien cap itaine d'artillerie, Barbier avait peut être éprouvé autrefois combien il pouvait être utile à des officiers en campagne de rédiger des messages dans l'obscurité et éventuellement d`en déchiffrer avec ses doigts.

Nous n'exposerons pas ici tous les procédés qu'imagina Ch. Barbier sous des noms divers (écriture coupée, écriture nocturne, typographie privée de poche et d'ambulance, etc.). Le principe seul nous intéresse, parce qu'il l'appliquera plus tard à son système d'écriture en relief pour les aveugles. Barbier disposa d'abord 25 lettres de l'alphabet français en 5 colonnes de 5 lignes chacune, à la faç on d'une table de Pythagore. Puis il fit de même pour les 36 sons qu'il répartit en 6 colonnes de 6 signes chacune (voir fig ci après). Chaque son pouvait alors être représenté par deux chiffres, le premier indiquant le numéro de la ligne, le second le numéro de la colonne dans laquelle on le rencontrait. La répartition des 36 sons sur le même damier pouvait être changée, et l'on obtenait ainsi un grand nombre de combinaisons différentes, de grilles, destinées, dans l'esprit du Barbier de cette époque, à couvrir le secret des dép êches militaires ou diplomatiques.

I 2 3 4 5 6

I a i o u é è

2 an in on un eu ou

3 b d g j v z

4 p t q ch f s

5 l m n r _ gn_ ll

6 oi oin ian ien ion ieu

Quand Barbier songea t il à tirer de ses multiples conceptions un système d'écriture tangible pour les aveugles ? Nous ne pouvons le préciser. Nous avons tout lieu de croire que si l'idée lui en vint avant 1819, elle ne s'imposa guère à lui qu'à cette date. Voici, à peu près comment les choses ont dû se passer. En 1819, Barbier expose au Musée des Produits de l'Industrie, installée dans la cour d u Louvre, une machine qui grave sans qu'on y voie, les planches de l'écriture secrètes de combinaisons (Cette machine, décrite et critiquée dans le rapport fait à l'Institut, le 15 mai 1820, a été réalisée par le mécanicien Hetzel.). Or, nous le savons par un compte rendu du Mercure technologique, l'Institution Royale exposait aussi à ce Musée. Il est probable qu'on y exhibait des élèves et que ceux ci lisaient et travaillaient devant le public. Barbier a dû visiter leur stand et constater combien péniblement ils déchiffraient ces gros livres imprimés en caractères ordinaires simplement mis en haut relief et si peu faits pour le doigt; il a dû remarquer qu'ils ne pouvaient écrire qu'en composant à la façon d'un typographe, et faire des rapprochements entre ces procédés et le sien .

Le principe en est le suivant: les lettres de l'alphabet (ainsi que quelques assemblages courants de lettres) sont réparties dans une grille de 6x6=36 cases. Elles sont alors désignées par leur coordonnées, représentées par deux rangées verticales de l à 6 points en relief, tracés sur une feuille de papier.

Celle ci est fixée sur une tablette qui comporte des séries de 6 rainures horizontales. Les points en relief qui apparaissent au verso de la feuille sont obtenus en la perforant localement au moyen d'un poinçon qui pénètre dans les rainures. Un curseur mobile permet de guider le poinçon. En passant ses doigts au recto de la feuille, le destinataire du message compte le nombre de points de chaque doublet. Connaissant la grille de codage, il en déduit la nature de la lettre (ou de l'assemblage de lettres) correspondante.

+ + ..c..a a
2,25
+ +
..

+ + ..

+ + ..

+ + ..

+ + ..
4,5

disposition des lettre a assemblage (ieu)
points (1,1) (6,6)

L'écriture BARBIER

En 1823 Charles BARBIER présente son invention à l'Institution Royale des Jeunes Aveugles où elle suscite un grand intérêt. Dans les années qui suivent sa démonstration, il peut être à la fois satisfait de constater que son système a retenu l'attention des aveugles et fort dépité en voyant que son "logiciel" est mis à mal par l'un d'eux, Louis BRAILLE, âgé de 14 ans lors de son exposé.

Si avant 1819 Barbier avait sérieusement songé à appliquer son système aux aveugles, on en trouverait trace dans la lettre qu'il fait lire à l'Académie des Sciences, le 28 juin 1819, lettre où il annonce sa "machine qui grave sans qu'on y voie". Ce n'est pas à l'intention des aveugles que tout ceci a été imaginé.

Mais Barbier s'avisa bientôt que ce système conventionnel était à la portée du doigt de l'aveugle. Après avoir expérimenté en ville sur quelques uns d'entre eux, il est accueilli par Pignier, directeur de l'Institution Royale, en mars et avril 1821 C'est ainsi que l'Institution Royale des Jeunes Aveugles a adopté les procédés d'écriture nocturne pour faire partie de l'instruction des aveugles. L' année suivante (1822) un article de presse est spécialement consacré cette fois à l'écriture nocturne à l'usage des aveugles : le procédé et les appareils y sont amplement décrits. L'idée de classer les lettres en tableau et d'utiliser des points pour désigner leur emplacement sur ce tableau n'était pas nouvelle. C'est à cette époque également qu'il faut faire remonter la réglette Barbier, mère d e la réglette Braille.

Le 1er décembre 1823, des commissaires désignés par l'Académie, de Lacépède et Ampère - deux noms devenus célèbres - déposent leurs rapports sur l'écriture Barbier. Ils s'étaient livrés à une expérience d'un caractère bien scientifique. Ils avaient éloigné dans une salle voisine l'un des sujets présentés par Barbier, avaient dicté à un second un texte inconnu du premier, et, porté la copie à celu i ci qui en avait donné lecture. Le rapport fut formel. Il contenait même une remarque très pertinente, témoignant du haut esprit scientifique des enquêteurs: à l'écriture ordinaire, disent ils, est l'art de parler aux yeux; celle qu'a trouvée M. Charles Barbier est l'art de parler au toucher. C'était reconnaître la supériorité psychologique du point sur le trait lisse, du caractère simple sur le caractère complexe, association de lignes droites ou courbes. Après cette expérience cruciale, la preuve est faite; les aveugles lisent incontestablement mieux le Barbier que le Valentin Haüy; ils peuvent écrire, prendre des notes, faire des devoirs scolaires.

Ils pouvaient désormais écrire, certes, mais seulement phonétiquement. Le système, par exemple, ne convenait pas pour une dictée d'orthographe ni pour les devoirs de calcul. Or, ne l'oublions pas, nous étions dans une école. De plus, on dut s'apercevoir très tôt que 12 points étaient beaucoup plus qu'il n'en fallait pour réaliser la soixantaine de caractères nécessaires à la figuration des lettre s de l'alphabet, des signes de ponctuation, des chiffres et des symboles mathématiques élémentaires.

L'indéniable impulsion donnée par l'ancien officier d'artillerie ne diminue en rien, nous le verrons plus loin, les mérites du jeune Braille. Celui ci, modeste écolier, commença son oeuvre par de timides et prudentes suggestions. Il avait indiqué à M. Barbier, plusieurs perfectionnements, et résolu quelques difficultés relatives à cette écriture, petits problèmes dont M. Barbier avait depuis long temps réservé la solution. Mais il n'était peut être pas aisé de collaborer vraiment avec le capitaine pour l'amener à transformer sa sonographie en un système mieux approprié aux besoins réels des aveugles. A cela, il y avait plusieurs raisons. D'abord, leur différence d'âge, ensuite, la difficulté qu'éprouve toujours un voyant à communiquer profondément avec un aveugle, et le sentiment d'une c ertaine hétérogénéité entre la mentalité du premier et celle du second, sentiment que ne fait pas toujours complètement disparaître un long contact avec un aveugle, et qui peut être était plus intense encore autrefois qu'aujourd'hui, après plus d'un siècle de travaux sur la psychologie des aveugles. Enfin et surtout, les idées arrêtées de Barbier le rendaient intraitable pour tout ce qui touchait au fond de son invention. Esprit systématique, il reste attaché à son tableau de sons et à la méthode, séduisante à la vérité, qui consiste à désigner chaque son par un couple de chiffres. Sans doute, pensait il que seule cette simplicité de présentation et de repérage convenait au doigt d'un aveugle, et que celui ci en était réduit à compter des points. Il ne pouvait concevoir (cela, c'est la l ecture en Braille qui a permis de l'établir) qu'un signe ponctué pût former image sous le doigt, et la lecture tactile devenir synthétique. Aurait il eu davantage d'intuition psychologique, que les médiocres résultats obtenus avec les caractères ordinaires rendus éminents par le gaufrage ne l'auraient guère orienté vers cette conclusion.

Mais ce qui arrête Barbier dans la voie de l'évolution, ce sont ses préjugés quelque peu aristocratiques sur l'inutilité de l'orthographe pour les humbles.

Après s'être occupé des aveugles, il se tournera vers les sourds muets, puis vers les enfants des écoles maternelles.

Louis Braille

Louis Braille, à qui les aveugles du monde entier doivent leur alphabet, vit le jour à Coupvray (département de Seine-et Marne), le 4 janvier 1809. Et c'est dans le cimetière de Coupvray que son corps fut inhumé quarante trois ans plus tard presque jour pour jour. Braille, semble t il, resta toujours profondément attaché à son village natal. Si l'Institution des Jeunes Aveugles de Paris, où, à partir de 1819, il vécut une vie d'internat, fut sa seconde patrie, c'est à Coupvray qu'il passa toutes ses vacances, et là qu'il vint séjourner, à plusieurs reprises, lorsque la maladie l'obligea à prendre un repos prolongé.

Au cours de l'année 1812 - nous ne connaissons pas la date avec plus de précision - Louis, alors âgé de trois ans, jouait dans l'échoppe du bourrelier. voulant imiter son père, il saisit une serpette dont celui ci se servait pour tailler le cuir, et s'essaya lui aussi, faible et malhabile, à sectionner quelque lanière. Mais le cuir est dur et élastique. Un débris fut il projeté dans l'oeil, la se rpette glissa t elle obliquement, ou encore, comme cela arrive si souvent avec une simple ficelle, l'organe fut il atteint par l'extrémité de l'outil, parce que l'enfant exerçait à revers une pression sur la lanière tendue qui céda ? Nous ne savons. Nous ne savons pas non plus comment évolua l'affection ni combien de temps encore le petit Louis continua à jouir de la lumière. Nous nous trouvons certainement là en présence d'un de ces nombreux cas d'ophtalmie par sympathie. Si l'on ne pratique pas assez tôt l'énucléation de l'oeil atteint, l'autre s'infecte bientôt, l'infection cheminant par les voies nerveuses, et c'est la cécité à plus ou moins brève échéance.

Sans doute, comme cela est de règle lorsque la cécité survient avant la 6e ou 7e année, ne conserva t il aucune image visuelle précise, pas même le souvenir du visage maternel ou celui des lieux familiers à son enfance.

On sait par contre, que le père de Braille écrivit à plusieurs reprises au directeur de l'Institution Royale pour s'informer de ce que l'on y faisait et s'assurer a que cela était avantageux pour l'enfant ». Ensuite seulement et après bien des hésitations il entreprit les démarches pour l'y faire admettre. Et c'est ainsi que, le 15 janvier 1819, Louis Braille fut nommé élève de l'Institution R oyale, où il entra le 15 février suivant, pour sa propre élévation et pour le plus grand bien de tous les aveugles, à qui il allait bientôt donner les moyens d'accéder à la culture.

Comme nous l'indiquions précédemment, très tôt le jeune Braille chercha la mise au point d'un nouveau système d'écriture en relief qu'il proposa à Barbier.

Si n'ont pas été associés plus intimement le nom du précurseur et celui du réalisateur, si le système d'écriture des aveugles ne s'est jamais appelé le Barbier Braille, la faute n'en incombe assurément pas à Louis Braille mais à l'intransigeance et aux opinions préconçues de Charles Barbier.

Braille, nous assurent ses contemporains, ne voulait absolument pas distraire une minute du temps qu'il devait à ses études pour ce qui peut être n'était que chimères de l'imagination. Il travaillait à l'élaboration de son système de bonne heure le matin ou, dans sa famille, pendant les vacances. Dès 1825 - Braille n'a encore que 16 ans - ce système est conçu dans ses parties ess entielles. Nous ne possédons sur ce point que le témoignage de son directeur de l'Institut Royale (M. Pignier), mais nous n'avons aucune raison pour en douter. Ce n'était pourtant pas tout que de concevoir: il fallait soumettre le produit des réflexions à l'épreuve de l'expérience. En 1827, on transcrit dans le système du jeune Braille des fragments de La grammaire des grammaires, et, en 1829, la Grammaire de Noël et Chapsal. Cette même année parut le premier exposé de la nouvelle méthode d'écriture, sous le titre: Procédé pour écrire les paroles, la musique et le plain chant au moyen de points, à l'usage des aveugles et disposés pour eux.

Par L. Braille, répétiteur à l'Institution Royale des Jeunes Aveugles. Paris. 1829

Ce volume de 82 pages, dont Pignier nous dit avoir noté le texte sous la dictée même de Braille, fut bien entendu imprimé en relief linéaire, puisque c'était là le genre de caractères qui étaient alors enseignés aux aveugles. C'est le véritable acte de naissance du Système Braille. Il renferme, pages 14 à 16, le tableau de l'Alphabet Braille original.

Louis Braille, bien que sa tournure d'esprit le portât vers l'abstraction, n'était pas mathématicien: il était tout simplement intelligent. Comme instrument d'investigation des images spatiales, il n'avait que son doigt, et, d'intuition, il découvrit ce qui convenait le mieux au doigt. Agissant sans le savoir en premier psychologue de l'édification des structures tactiles, il écarta tout signe qu i pouvait prêter à confusion avec un autre, et ne garda, pour la constitution de sa série fondamentale, que les combinaisons formant images distinctes. C'est ainsi qu'il rejeta les signes qui pouvaient être confondus. Et voilà pourquoi la série fondamentale se présente en définitive sous la forme que nous lui connaissons.

a b c d e f g h i j

(Tableau a double entrée mettant en évidence la génération méthodique de la 1ère série du système Braille.)

Des considérations du même genre, c'est à dire le souci d'une bonne lisibilité, expliquent pourquoi Braille forma sa 3e série par adjonction de deux points au dessous de la première, alors qu'il aurait pu, tout d'abord, ajouter le point en bas à droite du rectangle( (Numérotation classique ,des points Braille : 1 2 3 4 5 6) générateur, possibilité dont il n'usa que pour sa 4e série . Sans doute, craignit il des confusions entre certains signes (par exemple entre les premier et troisième signes de la série II et les premier et troisième de la série IV), et, plus généralement, entre un signe de l'une de ces séries et le signe qui lui correspond dans l'autre, dans le cas d'une écriture défectueuse. Peut être pensa t il que l'inconvénient serait moindre si la série formée avec le point du bas à droite était réservée à des lettres accentuées. Les bons lecteurs, que la pratique des différents systèmes d'abrégés a accoutumés à distinguer d'emblée des signes symétriques ou ressemblants, se moqueront de ces craintes. Mais ceux qui, arrivés tard à la cécité, ont quelque peine à lire avec leurs doi gts comprendront qu'on ait songé à diminuer les risques de confusions.

Tel quel, avec ses imperfections, avec la complication que constituait le mélange des traits et des points dans les dernières séries, l'alphabet de 1829 représentait un incontestable progrès sur les conceptions de Barbier. Il allait surtout fournir une excellente base d'expérimentation, pour la seconde édition du Procédé, publiée en 1837, qui codifiera les résultats. Entre ces deux dates, il semb le qu'on ait beaucoup travaillé, beaucoup essayé, parmi les pensionnaires de l'Institution. Dans cette fermentation, la part d'activité et les apports propres de Braille ont certainement été les plus considérables, et de beaucoup. Pourtant, toujours scrupuleux, dans l'Avertissement nous savons aussi qu'à partir de 1830, l'Alphabet ponctué de Braille fut employé dans les classes pour l'écri ture des devoirs, initiative heureuse qui allait faire tomber en désuétude les signes comportant des traits, difficiles à écrire.

Le texte de l'édition de 1837 est beaucoup moins embarrassé, beaucoup plus clair que celui de 1829. On sent que Braille s'est formé durant ces huit années. Renonçant aux longues explications et aux commentaires, il préfère présenter des tableaux, suffisamment parlants en eux mêmes.

La seconde édition du Procédé fixe l'alphabet, les chiffres, les signes orthographiques; elle nantit les aveugles d'un système sténographique; elle pourvoit à leurs besoins scolaires et littéraires. Mais elle fait plus: elle leur apporte une notation musicale cohérente qui, dans ses grandes lignes, forme l'essentiel de l'actuelle Musicographie Braille internationale.

Un véritable système était donc ainsi mis à la disposition des musiciens aveugles qui non seulement pouvaient le lire mieux que les procédés antérieurs, puisqu'il était uniquement composé de signes convenant spécifiquement au toucher, mais qui, de plus, pouvaient l'écrire à la tablette Braille ordinaire, sans matériel spécial. Depuis plus d'un siècle, ce système est utilisé dans tous les pays.

L'expansion du Braille dans le monde

En ce qui concerne l'utilisation du Braille dans l'école même où il fut conçu, on a dit qu'il fallut plus de vingt cinq années pour que le système s'y imposât, et on a donné la date de 1854 comme étant celle de l'adoption officielle du Braille en France. On a aussi parlé d'une éclipse du Braille. Il faut s'entendre sur la signification et sur l'étendue de cette prétendue éclipse. Entre 1825 et 18 40, sous le directorat de Pignier, on ne saurait dire, en effet, que l'administration de l'école eût été hostile à la nouvelle écriture. Dès 1827, nous l'avons vu, elle laisse transcrire en Braille des fragments d'une grammaire alors classique, et, à partir de 1830, elle autorise l'usage du Braille dans les classes pour les exercices écrits. Les deux éditions du Procédé furent réalisées pa r l'imprimerie de l'Institution et en portent la marque officielle. Comme nous le verrons un peu plus loin, le second de ces volumes a visiblement été composé pour faire connaître le système et en assurer la diffusion à l'étranger.

S'il y eut éclipse du Braille, ce ne fut qu'entre 1840 et 1850, pendant les dix premières années du directorat de Dufau. Mais cette éclipse même ne fut que partielle. D'abord, rejeté pour la littérature, le Braille conservait officiellement droit de cité pour la musique. Cependant, élèves et professeurs aveugles de l'Institution utilisaient l'écriture ponctuée pour tout ce qui leur était personne l.

A partir de 1847, on recommença à imprimer des textes ne comportant que du Braille. L'attribution d'un prix d'écriture Braille suppose qu'on enseignait ce système dans les classes et est une preuve de sa reconnaissance officielle. Dufau n'allait d'ailleurs pas tarder à confesser publiquement la supériorité des caractères Braille sur les caractères italiques en relief linéaire imités de ceux qui étaient utilisés alors à Edimbourg et à Philadelphie et qu'il avait tenté d'imposer à Paris. Alors que, dans la première édition (1837) de son ouvrage, Dufau ne dit pas un mot du Braille, dans la seconde édition (1850), il consacre à ce système plusieurs pages élogieuses. Il allait d'ailleurs confier à l'aveugle Rémi Fournier le soin d'organiser en imprimerie Braille, l'imprimerie de l'Institutio n Nationale !

La date de 1854 peut être considérée comme le point de départ de la diffusion du Braille hors de France où fut imprimée en Braille à l'Institution de Paris une méthode de lecture en langue portugaise. Ce fut l'empereur du Brésil en personne, Don Pedro II, qui commanda cette réalisation. Déjà, en vue de cette diffusion, la seconde édition du Procédé de Louis Braille (1837) présentait des textes en 6 langues (latin, français, italien, espagnol, allemand, anglais), avec texte correspondant en relief linéaire sur la colonne voisine. Et nous savons que ce volume fut communiqué à toutes les institutions pour aveugles existant à cette époque: Philadelphie, Glasgow, Edimbourg, Bruxelles, Madrid, Pesth, Copenhague, etc. L'abbé Carton, directeur de l'École de Bruges, consacre au Brai lle un commentaire dans chacun des tomes de l'ouvrage qu'il publia sur les aveugles et les sourds muets en 1838 et 1839.

Mais c'est surtout Joseph Guadet qui contribua puissamment à répandre le Braille à l'étranger. Il appréciait ce système auquel, en 1844, lors de l'inauguration des nouveaux bâtiments du boulevard des Invalides, il consacre un substantiel exposé sur l'utilisation du braille. De 1855 à 1863, il publia L'instituteur des aveugles, périodique très apprécié des éducateurs étrangers et dans leque l, à plusieurs reprises, il revint sur les avantages du procédé Braille. Malgré cette propagande, l'ascension du Braille fut lente, tant était tenace l'idée qu'il ne fallait pas doter les aveugles d'un alphabet différent de celui des voyants.

La Suisse romande donna l'exemple. En 1852, le Braille fit son apparition à l'Asile des Aveugles de Lausanne, récemment fondé (1843). Les élèves en apprécièrent rapidement les mérites, si bien qu'en 1858 il fut officiellement employé dans les classes. Le directeur Hirzel ne donna la préférence à ce procédé qu'après un voyage d'étude en France, en Allemagne, en Angleterre. En 1860, i1 fonda l'impr imerie de l'asile, qui, le 31 décembre de cette année là, sortit le premier livre qui fut imprimé en Braille hors de France. En 1866, la presse de Lausanne avait produit 6 ouvrages scolaires en français, 5 en allemand (probablement les premiers qui aient été imprimés en cette langue).

Dans les pays germaniques, le Braille - le système original tout au moins - mit quarante ans à s'imposer. J. W. Klein, fondateur de l'Institution de Vienne, en connaissait déjà l'existence en 1837 ainsi que Knie, fondateur de l'école de Breslau, en 1841. Mais ces deux personnalités ne furent pas favorables à sa généralisation, lui reprochant de dresser un mur supplémentaire entre aveugles et voya nts. On reconnaissait que le Braille présentait d'incontestables avantages pour les aveugles, mais on repoussait un système qui n'était pas fait pour l'oeil et que les voyants ne pouvaient lire qu'après s'être donné la peine de l'apprendre.

Cependant, en 1858, Knie, sans doute sous l'impulsion de Guadet, inséra un alphabet Braille à la fin de la 5e édition de son livre (KNIE, Anleitung zur zweckmaessigen Behandlungblinder Kinder.), et, dans le même temps, il contribuait à le diffuser en le commentant dans "l'Organ" des Etablissements de sourds-muets et Aveugles. Mais une autre embûche attendait le système français. Après d'au tres, jouant au puzzle avec les caractères Braille, Saint Marie, de Leipzig, édifia un alphabet dans lequel les signes comportant le moins de points étaient affectés aux lettres, le plus fréquemment employé en allemand. L'économie de points était d'environ 20 %, mais cela ne représentait un avantage que pour l'écriture au poinçon et ne procurait aucun gain de place, le nombre des caractères étan t toujours le même.

Il s'ensuivit que le 1er Congrès des Instituteurs d'Aveugles (Leipzig, 1873) se trouva en présence d'une grande confusion. En Autriche, par exemple, le Plan d'études du 16 septembre 1867, approuvé par le Ministère de l'Instruction Publique, introduit l'usage du Braille à l'Institution Impériale et Royale de Vienne, mais le directeur de cet établissement, Pablasek, demeurait partisan de l'étude si multanée des caractères romains et du Braille. Au Second Congrès, (Dresde, 1876), 14 écoles se prononçaient encore pour le Braille adapté à l'allemand, 11 seulement pour le Braille original. Nous verrons plus loin comment le Congrès de Paris devait finalement faire pencher la balance en faveur de ce dernier.

En Angleterre, l'adoption du Braille fut particulièrement ardue. En 1868, 4 systèmes au moins de caractères ordinaires en relief (Moon, Fry, Alston, Gall) et deux systèmes sténographiques (Lucas et Frère) se partageaient la faveur des directeurs des écoles anglaises d'aveugles. C'est alors qu'intervint le Dr Armitage, le fondateur de la British and Foreign Blind Association for Promoting the Educ ation of the Blind. Il commença par faire admettre que seuls les usagers, autrement dit les aveugles, étaient qualifiés pour décider du système d'écriture qui leur convenait. Le comité qu'il créa ne comprenait que des aveugles pratiquant au moins trois des systèmes alors en usage et entre lesquels ils devaient choisir. En mai 1870, le comité se prononça pour le Braille comme procédé d'écriture, r éservant une forme modifiée du Système Moon aux imprimés en relief. Mais le Braille devait bientôt s'imposer tout autant pour l'imprimé que pour le manuscrit. En 1871, sur 46 oeuvres se consacrant pour la plupart à l'éducation des aveugles à domicile, une seule mentionnait le Braille dans son prospectus; en 1883, grâce à l'action énergique du Dr Armitage et à ses publications dont la premi ère, bien modeste, remontait à 1870, la grosse majorité des écoles d'aveugles anglaises avaient adopté le système français.

En 1878, se tint à Paris, un important Congrès Universel pour l'Amélioration du sort des aveugles et des sourds muets. Une Commission avait reçu pour mandat d'étudier les diverses méthodes d'impression et d'écriture en vue de l'unification des systèmes. L'Allemagne, l'Angleterre, l'Autriche Hongrie, la Belgique, le Danemark, la France, la Hollande, l'Italie, la Suède, la Suisse y étaient représen tés. Ses conclusions, formulées par M. Meyer, directeur de l'École des Aveugles d'Amsterdam, furent longuement discutées à la séance plénière le 27 septembre 1878. Après avoir écarté le Moon comme système principal, et rejeté une proposition de l'Américain Smith qui voulait que, dans chaque langue, on choisît les signes les plus rapides à former pour représenter les lettres les plus fréquemment e mployées. Il y eu finalement un accord, après que le directeur Meyer eût précisé: "En proposant l'adoption du Système Braille, nous avons entendu parler du Système Braille non modifié, du Système Braille français, et non d'un autre et après discussion, le Congrès dit le compte rendu se prononce à une forte majorité en faveur de la généralisation du système Braille non-modifié.

Décision capitale, sur laquelle s'appuieront ultérieurement tous les partisans de l'universalisation de l'ordre original de classification des signes. Dès l'année suivante (IIIe Congrès des Instituteurs d'Aveugles, Berlin, 1879), l'Allemagne appliquait intégralement ce procédé en renonçant aux systèmes dissidents.

Seuls, de tous les pays de langues européennes, les États-Unis ne suivirent que beaucoup plus tard le mouvement. Vers 1885, la situation des impressions en relief était là bas des plus confuses. A Saint Louis, on utilisait le Braille et les caractères romains en relief; à Philadelphie, le Braille, le Moon et le romain; à Boston, le romain et le Braille américain, composé des mêmes signes que le B raille original, mais disposés, selon les vues de Smith exposées plus haut, dans un ordre que l'on croyait mieux convenir aux besoins de la langue anglaise. Dans toutes les autres institutions, on employait concurremment le romain et le New York Point ou Wait System.

Vers 1866, Russ, directeur de l'École des Aveugles de New York, imagina qu'en couchant horizontalement le grand axe du rectangle générateur du caractère Braille, on gagnerait de la place, et édifia sur ce principe une sorte de sténographie. Son successeur, Wm. B. Wait, reprit l'idée et établit un alphabet dont les caractères n'avaient tous que deux points de haut et, au maximum, trois de large p our les lettres minuscules, 4 pour les majuscules et les signes de ponctuation. On gagnait ainsi de la place (25 % environ), mais, entre autres inconvénients, la lisibilité était moins bonne, le signe tombant moins bien sous le doigt. La lutte s'engagea d'abord contre le romain.

Les partisans de cette solution restaient farouchement attachés au principe de Haüy, selon lequel il ne fallait pas que l'aveugle se distinguât du voyant par son système alphabétique. Ce à quoi Wait répondait en demandant ce qui rapprochait le plus l'aveugle du voyant, ou des caractères que les voyants pouvaient lire mais que les aveugles ne déchiffraient que lentement, ou un système particulier, différent de celui des voyants, mais permettant aux aveugles de se rapprocher de la vitesse de lecture des clairvoyants. Puis on s'attaqua aux tenants du Braille pur et du Braille américain. Vers 1890, Hall ayant inventé une machine à écrire et une machine à stéréotyper convenant à ces deux derniers systèmes, les défenseurs du Wait brandirent leurs kleidographes, appareils permettant d'écrire pl us rapidement le New York, Point.

Deux circonstances faillirent donner la victoire à ce point de New York. Wait jouissait d'une grande influence sur les directeurs d'écoles. Une majorité se constitua ainsi, et l'American Printing House for the Blind de Louisville, entretenue par les deniers fédéraux, imprimait tout naturellement ce que demandait la majorité. D'autre part, les taxes élevées qui frappaient l'importation en A mérique des livres en Braille classique imprimés en Angleterre nuisaient considérablement à la diffusion de ce système. Malgré tout, et grâce à ses vertus propres, celui ci devait finir par triompher.

Il fallut bien en arriver à mettre fin à ce gaspillage de temps et d'argent que constituait, par exemple, la publication d'une même revue en 3 alphabets différents. Le Congrès de Little Rock (1910) marqua de ce point de vue, un tournant décisif, et, à partir de 1917 i1 n'y eut plus aux États Unis qu'un seul système d'écriture pour les aveugles: le Braille original.

Deux dates importantes jalonnent encore l'histoire de l'expansion du Braille: 1929, 1949.

- En 1929, une commission de spécialistes, réunie à Paris, au siège de 1' American Braille Press et comprenant des représentants de l'Allemagne, de l'Angleterre, des Etats-Unis, de la France, mit au point une Notation musicale Braille internationale.

En vérité, il n'y avait pas de divergences sur les signes fondamentaux auxquels s'était arrêté Louis Braille en 1837 pour la représentation des notes, des valeurs, des silences, etc., mais seulement sur l'arrangement de ces caractères. A la source de ces divergences s'inscrit une difficulté d'ordre psychologique: les exigences de la lecture tactile appellent une disposition uniquement horizontale des signes, ce qui ne soulève aucune embûche lorsqu'il s'agit de transcrire un texte littéraire dont les caractères se suivent linéairement. Mais comment perdre le moins possible les avantages que présente pour le voyant la superposition en plusieurs étages, des signes musicaux et, le cas échéant, des paroles ? Tel est le problème qui a suscité des solutions différentes, selon les époques et les pays. Il est lié à un problème pédagogique, celui des meilleures conditions à réaliser pour l'assimilation d'un texte musical, par un jeune aveugle, et à un problème pratique, celui du déchiffrage, de la "lecture à vue" par le doigt. Il intéresse tout particulièrement les chanteurs qui conservent la liberté de leurs deux mains, les professeurs de musique qui doivent pouvoir suivre la partition d 'une main tout en surveillant de l'autre les doigtés et la tenue de l'élève, les organistes qui ont la faculté d'accompagner d'une main et éventuellement à la pédale.

- En 1949, le gouvernement de l'Inde, qui ayant une multiplicité de dialectes avec une classification alphabétique particulière (un même son se trouvait représenté" différemment en Braille d'une région à l'autre), sollicita l'UNESCO qui se saisit du problème. Elle chargea Sir Clutha Mackenzie de se livrer à une étude historique et critique préalable. Du 15 au 21 décembre 1949, un Comité d' Experts, réuni à Paris, à la Maison de l'UNESCO, posa les principes qui devaient présider à l'uniformisation des différents alphabets Braille, principes qui furent adoptés en mars 1950 par une conférence plus générale. En juin de la même année, les Hindous revinrent sur la position qu'ils avaient prise en 1947 (Report of the Expert Committee... on Uniform Indian Braille..., New Delhi, 1947 .) et acceptèrent les recommandations de l'UNESCO Puis en février 1951, à Beyrouth, le même résultat était atteint pour les langues arabes.

L'oeuvre de l'UNESCO c'est ensuite poursuivie avec l'application du Braille aux langues de l'Extrême Orient soulève des problèmes particuliers. Au Japon, où l'écriture est syllabique, on a réalisé une curieuse adaptation du Braille, dans laquelle la série fondamentale est construite sur 3 points, au lieu de 4 comme dans le Braille classique. En Chine, où plusieurs alphabets ont été lancés, le pr oblème des sons se complique de celui des tons, lesquels diffèrent d'une région à l'autre. Enfin, les langues dites "tribales" de l'Afrique ou d'ailleurs eurent aussi leur adaptation.

C'est la Réunion Internationale pour l'Unification du Braille tenue à la maison de l'UNESCO à Paris (20 29 Mars 1950) qui est à l'origine de progrès décisifs dans l'unification du braille. C'est à cette occasion que fut décidée une vaste enquête pour connaître ce qu'était réellement la situation du braille dans les différents pays du monde, quel que soit leur groupe linguistique. Vaste programme qui fut mené à bien par Sir Clutha Mackenzie (Nouvelle Zélande) et donna lieu à la première publication par l'UNESCO de l'ouvrage "L'Ecriture Braille dans le Monde", en anglais.

Une traduction en français a été également réalisée par l'UNESCO en 1954. La Conférence de Paris définit ainsi le "Braille Mondial". Plus récemment une nouvelle version anglaise a été réalisée, toujours par l'UNESCO en 1990, qui fut traduite en français avec leur autorisation par l'Association Valentin Haüy de Paris.

Lorsqu'une même langue est parlée dans des continents différents, il est du plus haut intérêt que, non seulement l'alphabet, mais aussi le code des abréviations utilisées en Braille soit le même. Ce n'est que depuis 1932 que l'accord a été réalisé pour l'anglais entre imprimeries britanniques et américaines. Il ne l'a été que plus tard pour l'espagnol, l'Argentine s'étant créé un système de contr actions tout à fait différent de celui qu'on utilise à Madrid (Du 26 nov. au 2 déc. 1951, à Montevideo, les Espagnols et les hispano-américains se sont mis d'accord pour la mise au point d'un système uniforme de Braille contracté, Portugais et Brésiliens faisant de même de leur coté. Enfin, l'unification des notations mathématiques et scientifiques, amorcée par le Congrès de Vienne (1929), n'a pas abouti à ce jour. Ce fut l'une des tâches du Conseil Mondial du Braille qui a été institué par l'UNESCO en vue de résoudre les problèmes que pouvait poser l'écriture des aveugles.

Aujourd'hui, on pratique couramment l'interpoints, rendu possible grâce à un décalage de la page déjà écrite au recto, ou de la réglette guide: le gain est alors de 100 % . L'imprimerie a suivi, parfois précédé, ce mouvement. Lorsqu'en 1849, du vivant de Braille, Laas d'Aguen, surveillant d'internat à l'Institution Nationale, inventa la stéréotypie en relief, il ne gaufra, pour chaque page, qu'un seul cliché et sur une seule face. Vers 1867, Ballu et Levitte, dont nous retrouverons les noms, eurent l'idée de clicher à la fois deux feuilles de métal superposées, la seconde servant de matrice au relief porté sur la première, et réciproquement dans le cas des impressions interlignes.

Celles ci se généraliseront à partir de 1875. Elles allaient pourtant bientôt céder la place à la stéréotypie (procédé Bally, 1888) ou à la typographie (procédé Balquet, 1899) interpoints.

Si l'étranger, venu plus tard au Braille, n'eut plus qu'à appliquer les perfectionnements mis au point à l'Institution de Paris, en revanche nous lui devons les premières machines à écrire le Braille (Hall en Amérique, Picht en Allemagne, 1895). Ces mécaniques ne comportant que 6 touches (une pour chaque point) et un espaceur, permettent d'obtenir en une seule frappe tous les points d'une même le ttre, et d'augmenter la rapidité d'écriture. Alors qu'au poinçon, il est difficile de dépasser 50 à 60 caractères à la minute, de bons praticiens atteignent aisément le double à la machine, et avec une moindre fatigue. Quant à la rapidité de la lecture tactile, elle varie beaucoup selon les sujets: les médiocres lecteurs doivent se contenter de 60 mots minute, mais nombreux sont les aveugles qui dépassent 100 mots minute, pour ne rien dire des vitesses exceptionnelles, plus rares.

En vue de diminuer le volume des livres et d'accroître la rapidité de lecture et d'écriture, on fait partout appel à des contractions. Les abréviations prévues par Braille étaient, nous l'avons vu, du type sténographique; l'abrégé dit "de Soissons", qui vint un peu plus tard, n'était encore qu'assez imparfaitement orthographique; celui qu'établit M. de La Sizeranne en 1882 tend à l'être. Il faut connaître le Braille pour comprendre pleinement l'économie et l'ingéniosité de ces contractions. Autant que possible, les signes sont parlants, c'est à dire qu'ils rappellent par une particularité quelconque la chose signifiée. Tout cela paraîtra bien confus à des non initiés, et le Braille abrégé, un système bien difficile à s'assimiler. Ce n'est qu'une apparence. D'une part, sous le doigt de l' aveugle, qu'il lise du Braille intégral ou du Braille abrégé, il se crée des structures tactiles à ce point inconscientes que, le livre refermé, le lecteur est souvent incapable de dire s'il a lu du toute lettre ou du contracté. D'autre part, la grosse majorité des livres garnissant les rayons des bibliothèques pour aveugle est écrite selon le système d'abréviation en usage, et pourtant la plupar t de ces volume ont été transcrit par des bénévoles voyants, preuve éclatante que l'Alphabet Braille et les systèmes qui en dérivent ne sont pas tellement ésotériques.

Evolution et avenir du Braille.

Deux pays ont été amenés à envisager d'étendre le braille original de six à huit points en raison du nombre de combinaison nécessaire : ce fut le cas pour le Japon qui associe leur signes syllabiques avec des signes Kangxi (chinois); ce fut également le cas pour le grec ancien qui requiert un nombre plus important de combinaisons. Plus récemment ce braille huit points s'est aussi révélé nécessair e pour l'informatique, afin de pouvoir distinguer les 256 codes ASCII. Une normalisation internationale de ces nouveaux signes devait être effectuée par l'ISO. Il a également été mis au point de nouveaux outils électroniques pour accélérer la transcription noir-braille : le scanner associé à un logiciel de reconnaissance de caractères, des programmes de transcription en mode automatique ou intera ctif, etc...

Prédire l'avenir du Braille à long terme est un exercice difficile compte tenu de l'évolution galopante des technologies. Le braille papier cédera-t-il la place au braille électronique ? C'est probable ! mais il restera encore pour longtemps le support privilégié des aveugles, il sera toujours le moyen indispensable à l'acquisition des connaissances. Le braille est aujourd'hui numérisable, compre ssible, transportable sur le réseau Internet, nous pouvons déjà mettre du texte en format braille sur des disques laser inscriptibles. Certes ce sont de nouveaux supports très prometteurs, mais ils restent encore à ce jour réservés à une population restreinte à titre individuel (un équipement informatique avec un écran braille 80 caractères et un modem coûte environ 85.000 Franc français, ou 1700 0 US$).

Depuis 171 ans, le braille a été défendu avec ferveur par ses utilisateurs, les aveugles. Non seulement il est devenu universel dans le monde, mais rien n'a pu le remplacer à ce jour. Soyons donc certains, pour les années à venir, que ce système d'écriture aura encore de beaux jours et qu'il suivra comme nous l'avons constaté jusqu'à présent les évolutions technologiques du futur.