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63rd IFLA General Conference - Conference Programme and Proceedings - August 31- September 5, 1997

La Bibliothèque impériale de Saint-Pétersbourg.
Ses rapports avec les régions Baltes au XIXe et au début du XXe siècle

Boris Volodin


Contenu

C'est à Saint-Pétersbourg, dans la Bibliothèque nationale de Russie (ancienne Bibliothèque impériale « publique ») que sont conservées les archives graphiques relatives aux conflits politico-culturels souvent tragiques qui ont nourri l'histoire des régions riveraines de la Baltique. Créée à l'occasion d'un de ces événements (la décision de la Grande Catherine de transférer à Saint-Pétersbourg les collections de la bibliothèque Zaluski de Varsovie), la Bibliothèque impériale est devenue au XIXe siècle un des plus riches centres de documentation sur un certain nombre de groupes ethniques alors sous la domination du tsar, notamment les Polonais, les peuples Baltes et les populations de l'actuelle Finlande. Sous l'égide de Modest Korf, grand admirateur du système mis en place par ses collègues allemands, cette institution s'est imposée à l'Est de l'Europe comme une bibliothèque de recherche modèle au renom international. A la fin du XIXe siècle, grâce aux nombreuses personnalités étrangères qu'elle comptait parmi ses membres honoraires, elle put mettre sur pied un important réseau de communications savantes avec les autres puissances de la région Balte, soit, à l'époque, la Suède, le Danemark et l'Allemagne.

1. Cartographie politique de la région Balte

La région Balte forme un ensemble géographique exceptionnel que se partagent les quelques pays d'Europe à disposer d'un accès sur la mer Baltique. C'est également un territoire qui pendant des siècles, et au nôtre encore, fut le théâtre d'opérations militaires d'envergure venues en permanence modifier ses frontières. De la fin du IXe siècle au début du XIe, la carte des territoires Baltes englobait de vastes espaces inexplorés, et le processus de formation des Etats n'était pas encore achevé à la fin de cette période ; les trois royaumes alors portés sur la carte (le Danemark, la Pologne et la Suède) devaient encore subir des remaniements considérables. Et Kiev, la capitale du premier Etat russe, disposait également, à l'extrême nord du pays, d'un débouché sur la Baltique avec le delta de la Neva.

La carte politique du XVe siècle dresse un tableau tout différent de la région. Le long de la Neva, un étroit couloir est rattaché à un Etat nommé Russie ; toute une partie de la côte a été annexée par la Pologne, considérablement plus vaste qu'autrefois, et si les frontières du Danemark restent à peu près inchangées, la Suède intègre désormais des zones côtières importantes, dont l'actuelle Finlande. Enfin les Etats allemands se sont considérablement agrandis, puisque ce qui deviendra par la suite l'Estonie et la majeure partie de la Lettonie sont sous la coupe de l'Ordre teutonique.

Dans les années 1820, la carte politique de l'Europe trace les nouveaux contours du Danemark et de la Suède, pendant que la Finlande se fond dans l'Empire russe. Les territoires alors sous juridiction de ce dernier englobent la quasi-totalité de la zone Balte. A l'ouest, la Russie est limitrophe de la Prusse et la Pologne - qui au XIXe siècle, a cessé d'être un Etat à part entière - est démembrée entre l'Autriche, la Prusse et la Russie. N'existent que le Danemark, la Suède, la Russie, et toute une série d'Etats allemands, dont la Prusse est le plus important.

Aujourd'hui, neuf pays ont un accès à la mer Baltique : l'Allemagne, le Danemark, la Lettonie, la Lituanie, la Pologne, la Russie, la Finlande, la Suède et l'Estonie. Les collections de l'actuelle Bibliothèque nationale de Russie témoignent autant des conflits souvent tragiques qui ont maintes fois bouleversé les cartes de la région que de l'extraordinaire brassage de cultures auxquels ils ont donné lieu.

2. L'influence de l'Histoire sur l'histoire de la bibliothèque

C'est dans le sillage des réformes de Pierre le Grand, au temps où la Russie installait sa nouvelle capitale sur le golfe de Finlande, qu'il fut décidé de constituer une bibliothèque qui, sur le modèle des pays européens « éclairés », aiderait à diffuser l'esprit des Lumières jusqu'au fin fond du pays. La mise en œuvre de cette décision mit rudement à contribution le peuple russe.

Fondée par Catherine II en 1795, la Bibliothèque impériale « publique » de Saint-Pétersbourg n'avait pas pour but de rencontrer les demandes du public ou de servir de vitrine à la production culturelle de la Russie, comme c'est généralement le cas des établissements similaires, créés pour abriter les collections nationales. Dans le butin acheminé de Pologne à Saint-Pétersbourg en 1795, se trouvaient notamment les fonds d'ouvrages jusqu'alors conservés à Varsovie, dans la bibliothèque Zaluski ; la bibliothèque voulue par la Grande Catherine allait se constituer autour de ce premier noyau.

Si, de l'aveu général, sa création ne venait répondre ni à une demande ni aux besoins du pays en matière culturelle, pour autant ce ne fut pas un événement purement fortuit, motivé par la nécessité de protéger les biens pillés à l'ennemi, ainsi que le suggèrent plusieurs auteurs ou la restitution à la Pologne du fonds Zaluski, imposée par le traité de Riga en 1921.

Au XIXe siècle, la Bibliothèque impériale se voulait officiellement l'héritière de la bibliothèque Zaluski. Les armoires vitrées montées en 1854 dans la section Rossica étaient spécifiquement destinées à abriter « chacun des documents publiés sur ou par la bibliothèque à toutes les époques, depuis sa fondation à Varsovie ». Dans le même esprit, « à chaque période était assignée une reliure de couleur définie : les 18 éditions de l'époque de Zaluski étaient reliées en maroquin violet, les 20 d'Olenin en vert, les 9 de Buturlin en brun, les 31 de Korf en rouge » (Golubewa, 1995 : 73). Les fonds provenant de la bibliothèque Zaluski étaient considérés comme les premières possessions de la bibliothèque de Saint-Pétersbourg, dont les acquisitions ultérieures furent par la suite distinguées selon les noms de ses directeurs.

C'est vers le milieu du XVIIIe siècle, à l'époque où le rayonnement de Varsovie en faisait un centre culturel de premier plan à l'Est de l'Europe, que naquit l'idée de créer en Pologne une bibliothèque nationale qui fut ainsi l'« une des toutes premières du monde » (Kocójowa, 1993 : 13). Elle fut créée à partir du remarquable fonds d'ouvrages rassemblés par Andrzej Stanislaw Zaluski et surtout par son frère, Józef Andrzej. Les plans en furent dessinés en 1732, et l'institution ouvrit ses portes en 1747 [1]. L'appellation officielle qui lui fut attribuée, Biblioteka Rzeczypospolitej Zaluskich (Bibliothèque publique Zaluski) en précisait le rôle tout en rendant hommage à ses premiers fondateurs. Pour les historiens polonais, son transfert à mille trois cents kilomètres de la capitale de la Pologne tenait du pillage pur et simple. En 1994 encore, Tadeusz Zarzebski s'indignait que les travailleurs des secteurs scientifiques et culturels russes aient ajouté foi à la propagande des autorités de leur pays, en prétextant des dommages subis par la bibliothèque de Varsovie pour justifier son transfert à Saint-Pétersbourg (Zarzebski, 1994 : 57) [2].

Le fonds de documents de la Bibliothèque impériale présentait un tel intérêt pour les cercles érudits polonais qu'en 1827 le comte Jósef Zaluski, recteur de l'université de Cracovie, adressa à Saint-Pétersbourg une requête afin que soit suivie d'effet l'intention d'Alexandre Ier de mettre les riches collections de l'ex-bibliothèque Zaluski à disposition des provinces polonaises en nommant des chercheurs polonais aux postes disponibles à la Bibliothèque impériale (History. Imperial Public Library, 1914 : 146). Appuyée par le comte Grabowski, secrétaire d'ambassade du royaume de Pologne, sa demande fut soumise à l'approbation du ministre de l'Instruction publique avant d'être envoyée aux responsables de la Bibliothèque impériale. A. Shishkov, ministre de l'Instruction publique, recommanda à cette occasion de recruter des spécialistes de littérature polonaise dans les universités de Cracovie et de Varsovie [3]. Mais le directeur de la bibliothèque, Alexey Olenin, ne tint pas compte de cet avis.

La triste histoire des bibliothèques polonaises ne s'arrête pas là. En 1830, l'écrasement de l'insurrection de Varsovie entraîna la fermeture de plusieurs autres établissements, dont les collections prirent elles aussi le chemin de la Russie. Ainsi celles de la Société des amis de la science (Towarzystwo Przyjaciól Nauk), qui vinrent, parmi bien d'autres, grossir les fonds de la Bibliothèque impériale. En 1832, cette dernière envoya deux conservateurs à Varsovie, Alexander Krasovski et Dmitri Popov ; au terme de cette mission, ils ramenèrent à Saint-Pétersbourg 116 446 volumes reliés et 2 201 manuscrits (Bibliothèque impériale, 1914 : 109) [4].

A l'heure qu'il est, la Bibliothèque nationale de Russie mène une enquête approfondie sur la restitution des fonds de la bibliothèque Zaluski à la Pologne ; cette mission porte notamment sur l'analyse des documents remis conformément aux demandes et revendications polonaises. Une étude menée en parallèle doit permettre d'identifier les titres du fonds Zaluski qui n'auraient pas encore été remis à la Pologne. Maria Moricheva a présenté les premiers résultats de ce travail lors du colloque organisé en janvier 1997 à la Bibliothèque nationale de Russie.

3. La mémoire de peuples Baltes

Au XIXe siècle, les responsables de la Bibliothèque impériale se sont particulièrement intéressés à la littérature polonaise. Il faut à cet égard citer l'action énergique menée sous la direction de Modest Korf par Anton Ivanovski, bibliothécaire à Saint-Pétersbourg de 1851 à 1869 ; ainsi qu'en témoigne une note de service datée de 1858, ce dernier alla jusqu'à proposer de constituer un secteur polonais à part entière, sans toutefois que sa suggestion soit suivie d'effet. Le rapport qu'il rédigea en 1860 sur ses déplacements officiels dans plusieurs bibliothèques de la province polonaise et des territoires polonais alors sous administration autrichienne et prusse permet de mieux cerner son activité [5]. Korf écrivait à propos d'Ivanovski : « C'est tout particulièrement aux connaissances spécialisées de cet employé et à la diligence qu'il mit à accomplir un travail cher à son cœur que la Bibliothèque doit les adjonctions apportées au département des livres polonais, qu'il a considérablement enrichi par ses efforts et ses recherches infatigables » (Bibliothèque impériale, 1914 : 210). La Bibliothèque impériale finit de la sorte par détenir un des plus beaux ensembles de documents polonais publiés en dehors de la Pologne.

La section Rossica rassemble les ouvrages édités dans l'empire du tsar dans d'autres langues que le russe, ainsi que les traductions étrangères d'œuvres russes. Elle vit le jour grâce à l'une des idées les plus audacieuses de Korf, qui l'a organisée en ayant sans cesse présente à l'esprit sa possible extension aux livres et manuscrits relatifs aux territoires sous juridiction russe. Cette collection exceptionnelle présente aujourd'hui un intérêt évident pour les chercheurs russes et baltes, puisque en sus de documents historiques sur les Etats baltes, la Finlande, la Pologne, elle regroupe un nombre impressionnant de publications sur l'ancien Empire russe.

La Bibliothèque de Saint-Pétersbourg reçoit les exemplaires du dépôt légal depuis 1810. Ce qui explique, par exemple, qu'elle détienne une des plus importantes collections d'ouvrages en finnois qui existe hors de la Finlande, avec plus de 60 000 notices bibliographiques et plus de 350 000 périodiques, auxquels s'ajoutent 700 titres de revues publiées en Finlande et réparties dans différents domaines à l'intérieur de la Bibliothèque. Les documents à cet égard les plus précieux sont ceux antérieurs à 1827, année où un incendie détruisit les collections de la plus grande bibiothèque finlandaise de l'époque, celle de l'université de Turku. Plus de cent titres imprimés avant cette date sont conservés dans le fonds finnois de la Bibliothèque nationale de Russie, dont des recueils de poèmes de Karl Axel Gotlund, les premiers textes runiques en finnois rassemblés par Zachris Topelius père et une traduction en finnois du catéchisme de Martin Luther.

4. Une fenêtre sur la science européenne

De son ouverture à la Révolution de 1917, l'histoire de la Bibliothèque impériale aura été marquée par deux grandes figures qui ont largement déterminé son rapide et remarquable développement. Il s'agit d'abord de celui qui en fut le premier directeur, Alexey Olenin, puis de Modest Korf, qui par ses réformes en fit une des bibliothèques les plus prestigieuses du monde. Dans le rapport d'activité établi pour l'année 1860, Korf notait que l'institution passait progressivement « du rang d'élève à celui de précepteur » (Rapport 1861 : 72). Et Vladimir Stasov, éminent bibliothécaire qui y travaillait à l'époque, citait les commentaires élogieux de visiteurs étrangers, entre autres de plusieurs Anglais fiers à juste titre de leur British Museum ; pour l'un d'eux, la bibliothèque de Saint-Pétersbourg était « magnifique, très belle, [c'est] de fait la plus magnifique bibliothèque du monde » (Stasov, 1894 : 1526).

Korf s'attacha à mettre la bibliothèque au service des cercles érudits, liant ainsi son développement en tant que bibliothèque de recherche à l'approfondissement et aux progrès des connaissances. Il eut surtout à cœur de bénéficier de l'expérience de ses collègues allemands, formés dans les meilleures universités allemandes de l'époque. Cette politique était d'ailleurs déjà appliquée par son prédécesseur, Dmitri Buturlin, qui avait recruté plusieurs spécialistes allemands ; Bernhard Dorn, par exemple, maître de conférences à l'université de Leipzig en 1844, d'abord nommé à la tête de la section orientale puis responsable de la section des études théologiques de 1850 à 1864,.

De 1847 à 1883, la Bibliothèque impériale compta aussi parmi ses membres Rudolf Mintzlow. Docteur en philosophie à l'université de Königsberg, responsable de la section philosophie de la collection d'incunables ainsi que des éditions aldines et des Elzévirs, il participa activement à la constitution du fonds spécialisé de la Rossica et à l'aménagement du « Cabinet de Faust », une salle réservée aux incunables.

Un autre philosophe formé à l'université de Leipzig, Christophore Friedrich Walter, fut responsable du fonds « Polygrafia » puis s'occupa du fonds d'ouvrages juridiques de 1848 à 1855. Entre 1849 et 1873, la Bibliothèque employa également Karl Becker, qui sortait de l'université de Göttingen, pour superviser la section scientifique et médicale. Grâce à lui, reconnaissait Korf, ces collections passèrent « de leur condition jusqu'alors pitoyable à un aménagement parfait, qui malgré les crédits limités de la Bibliothèque rencontre les critères savants en vigueur en Occident » (Bibliothèque impériale, 1914 : 205-206). Becker disposait en effet de l'expérience acquise à la Bibliothèque universitaire de Göttingen, modèle du genre à l'époque, conçue comme un instrument au service de l'organisation et de la pratique de la recherche (Fabian, 1977).

Korf fit en outre appel à des spécialistes allemands recrutés dans les provinces Baltes. Deux noms méritent à cet égard d'être mentionnés : Egor Berckholz, né à Lieven, étudiant à Riga puis à Derpt, ne devait passer que cinq ans à la Bibliothèque impériale où il dirigeait la section Rossica ; son séjour fut néanmoins des plus productifs puisqu'il lui permit d'établir le fichier auteurs et une bibliographie méthodique ; Viktor Gen, natif de Derpt où il fit ses études, resta à Saint-Pétersbourg de 1855 à 1873, à la tête de la section Histoire. Korf les tenait tous deux en haute estime ; dans une lettre adressée à Vladimir Odoevsky, il se répand en éloges sur ces professionnels qu'il trouve « instruits et intelligents, diligents et consciencieux », avant de conclure, en français : « Ce sont les perles de la Bibliothèque » (Bibliothèque impériale, 1914 : 211). Signalons au passage que Korf était lui-même d'origine allemande.

Au fil des ans, la « diaspora allemande » s'étoffa si considérablement que l'allemand finit par rivaliser avec le russe, ainsi qu'en attestent les documents conservés dans les archives de la Bibliothèque. L'impossibilité de calquer absolument son développement sur le modèle allemand ne fut pas sans créer certaines tensions, mais au bout du compte, et avec le soutien de Korf, les réformateurs les plus énergiques parvinrent à imposer leurs idées novatrices que Vassili I. Sobloschikov, bibliothécaire, architecte et fondateur de la Bibliothèque des sciences de Russie, se chargea de concrétiser. Ce qui confirme la priorité accordée à la recherche scientifique par la Bibliothèque.

5. Les liens avec les régions Baltes

Pour ses achats d'ouvrages étrangers, la Bibliothèque impériale passait essentiellement par l'entremise des libraires ; dans les autres cas, elle se les procurait en s'adressant à des institutions comme les universités de Derpt et d'Elseneur ou la Bibliothèque royale de Dresde. Les acquisitions de titres suédois étaient assurées par la Bibliothèque royale de Suède et l'Académie des sciences de Stockholm.

Pendant le mandat de Korf, les liens avec les bibliothèques russes et étrangères furent renforcés par des dons importants (plusieurs centaines de volumes) d'ouvrages possédés en plusieurs exemplaires par la Bibliothèque impériale. La Bibliothèque royale de Stockholm bénéficia ainsi de transferts généreux.

A partir de 1850, Korf institua à l'intention des savants étrangers connus des milieux bibliophiles le statut de membres titulaires ou de correspondants honoraires de la bibliothèque. Au nombre des seconds, citons Friedrich Sigismund Klopman, président du Consistoire luthérien de Kurland (admis en 1852), Karl Christian Rafn, archéologue danois, fondateur de la Société royale des antiquités nordiques et donateur de plus de 120 volumes sur l'histoire scandinave (1850). Les membres tituaires comptaient notamment Adolf Ivar Arvidson, poète et directeur de la Bibliothèque royale de Stockholm (1850) ; Heinrich-Theodore Beise, professeur à l'université de Derpt, docteur en philosophie et en droit (1878) ; Ludwig Rasmussen, étudiant à Copenhague quand il reçut cette distinction (en 1866), puis enseignant et bibliothécaire à l'Académie ecclésiastique de Saint-Pétersbourg ; et celui qui fut peut-être le plus important, Karl-Friedrich Christian Höck, professeur et bibliothécaire à l'université de Göttingen (1850), qui s'employa à raffermir les liens entre les bibliothèques de Saint-Pétersbourg et de Göttingen.

Réciproquement, le personnel de la Bibliothèque impériale était en rapport étroit avec plusieurs institutions et sociétés savantes étrangères. Cela vaut notamment pour Afanassi Bychkov, qui dirigea la bibliothèque de 1882 à 1899 après avoir fort efficacement supervisé le classement des livres anciens et des manuscrits slavons ainsi que les sections d'ouvrages en russe. Membre titulaire de la Société des antiquités nordiques de Copenhague et de la Société archéologique suédoise de Stockholm, il était également membre honoraire de la Société littéraire de Stockholm. Bychkov qui avait grandi en Finlande maîtrisait parfaitement le suédois.

L'histoire de la Bibliothèque nationale de Russie reflète aussi bien les conflits qui ont secoué la zone Balte que le brassage de valeurs culturelles et spirituelles entre leurs peuples. Ce n'est pas un hasard si la composition du personnel de la bibliothèque reproduisait assez fidèlement les découpages nationaux inscrits sur la carte politique moderne de la région. On trouvait par exemple à Saint-Pétersbourg Sylvestris Baltramaitis, journaliste, éducateur et bibliographe lithuanien connu, employé à la bibliothèque de 1869 à 1918 ; l'historien, archéologue et ethnographe estonien Janis Sprogis (1862-1864) ; la bibliographe Jozefina-Franziska Stark, native de Hämeenlinna, en Finlande (1882-1918), et bien d'autres encore (cf. document sur le personnel de la Bibliothèque nationale de Russie, 1995).

Les pays Baltes ont une longue tradition d'échanges culturels et savants, comme le prouvent les accords autrefois passés par les villes de la Hanse et auxquels était associée la cité russe de Novgorod. Cette tradition se prolonge aujourd'hui dans les rapports qu'entretiennent différentes institutions, dont la Bibliothèque nationale de Russie qui joue à cet égard un rôle de premier plan. Dans le même ordre d'idées, elle a adhéré à la « Bibliotheca Baltica », l'association régionale des bibliothèques de la Baltique créée en 1992 par le professeur Esco Häkli, directeur de la bibliothèque universitaire d'Helsinki (Häkli, 1994).

Les collections historiques de la Bibliothèque nationale de Russie font largement état de l'histoire des territoires de la Baltique. Mais cette histoire elle-même et le rôle de la Bibliothèque dans la mémoire des cultures locales auraient grandement besoin d'être évaluées par des spécialistes, indépendamment des stéréotypes officiels et nationaux de tout ordre. Pareille évaluation contribuerait sans doute à aider la Bibliothèque nationale de Rusie à devenir une institution de recherche d'envergure internationale, au service des « sciences humaines et sociales en général » (Wilson, 1996 : 93).

Notes

  1. La Bibliothèque nationale de Varsovie fêtera en 1997 le 250e anniversaire de la bibliothèque Zaluski.
  2. En 1994, Tadeusz Zarzebski suggéra que la « description de l'inauguration de la Bibliothèque impériale en janvier 1914 », publiée la même année à Saint-Pétersbourg, soit traduite et publiée en polonais ; selon lui, elle donne un état descriptif des collections déménagées de la Bibliothèque nationale de Pologne.
  3. Archives de la Bibliothèque nationale de Russie, 1827, Bib.it. : 22.
  4. Les fonds de la bibliothèque Zaluski et un certain nombre d'autres collections furent en grande partie restitués à la Pologne au cours des années 30. Les publications polonaises de l'époque ont largement rendu compte du rythme de ces retours et du travail accompli par le comité de restitution. Malheureusement, presque tous les livres et les manuscrits concernés furent détruits lors de la Deuxième Guerre mondiale.
  5. Archives de la Bibliothèque nationale de Russie, 1860, Bib.it. : 25.