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Dans un document électronique, il peut en aller tout-à-fait autrement. D'une part parce qu'un message audiovisuel peut être redondant : c'est le cas d'un texte que l'on peut à la fois lire sur écran et écouter, s'il est lu simultanément par une voix anonyme. D'autre part, parce que le lecteur peut faire ou ne pas faire le choix, en activant une touche de fonction, d'appeler une image pour illustrer un texte à l'écran, d'appeler un texte pour commenter une image, soit pour le lire à l'écran, soit pour l'écouter. La nouvelle représentation de l'écrit sur écran modifie ainsi la relation de contexte, substituant à la juxtaposition des textes et paratextes présents dans un même objet, une position spécifique dans une architecture logique, qui dépend de l'organisation des données informatiques.
Il faut bien constater que dans la plupart des systèmes éducatifs, l'apprentissage de la lecture se fait d'abord sur des textes narratifs. Ceci amène les professionnels de l'information à constater des difficultés de lecture des textes informatifs chez beaucoup d'usagers des centres de ressources documentaires.
Aujourd'hui comme hier, il n'y a pas de culture de l'information sans maîtrise des différents types de lecture. La lecture des documents informatifs n'est pas le plus souvent une lecture intégrale, c'est une lecture sélective, dont l'objectif est le prélèvement d'informations pertinentes par rapport à un sujet de recherche. Depuis de nombreuses années, les documentalistes des lycées et collèges français mettent en place avec les enseignants des disciplines des séquences pédagogiques dans le but d'aider les élèves à ces apprentissages. Les supports utilisés dans ces séquences étaient jusqu'à présent des supports papier : dictionnaires et encyclopédies, manuels scolaires, ouvrages documentaires. L'arrivée massive dans les CDI de documents sur d'autres supports, comme les CD-Rom, et le développement des accès au réseau Internet posent autrement les problèmes. Comment concevoir des séquences pédagogiques permettant aux élèves de développer les compétences de lecture nouvelles requises pour une exploitation raisonnée de ces nouveaux gisements d'information?
L'écrit sur papier a depuis l'invention de l'imprimerie été contraint par la dimension de la page, par la disposition en colonnes, adaptés au texte, et non pas à l'image, qui n'était présente que réduite, avec une fonction d'illustration. Avec l'écran, tout s'inverse : mieux conçu pour l'image, il lui donne la première place et ravale le texte au rang de sous-titre, ou de commentaire. Dans certaines encyclopédies, les corpus d'images et de textes sont séparés, on peut ainsi parcourir un sujet uniquement en visionnant des images, éventuellement avec un commentaire sonore. La numérisation des signes traite avec le même code binaire tous les messages. Sur un écran, lit-on du texte, ou une image de texte ?
De nouveaux comportements de lecteur sont donc à développer pour s'approprier correctement des informations lues sur écran. La discrimination de la nature de ces informations devient un élément prépondérant de la compétence en lecture.
La structuration des informations à l'intérieur du corpus est elle-même modifiée. Dans un ouvrage papier, du fait de l'organisation en cahiers, le contenu peut être facilement indexé, par un renvoi à telle ou telle page. La notion de page est un repère familier au lecteur, et cette compétence de repérage est essentielle pour permettre le prélèvement d'information. Or, dans le document électronique, le lecteur a la maîtrise sur le découpage du texte ou la forme qu'il fait apparaître à l'écran. Que deviennent dans ce cadre les repères connus ? Il faut bien constater que jusqu'à présent, et malgré son déroulement vertical, le texte électronique est toujours doté des repérages propres à l'objet-livre (pagination, index etc.). On a ainsi affaire à un hybride du volumen et du codex, qui nécessite pour être interprété une diversité de comportements de lecture.
Une difficulté supplémentaire réside dans la juxtaposition à l'écran d'informations relatives à un contenu informatif, et d'informations qui sont des indices de structuration du corpus, ou des repères spatio-temporels pour permettre le déplacement dans le corpus. Dans les documents sur papier, il y a une codification à peu près uniforme de ce qu'on appelle les clés du livre, qui sont accessibles au début ou à la fin de l'ouvrage. Leur utilisation demande au lecteur un va-et-vient permanent entre elles et l'information recherchée.
Dans les documents électroniques, ces clés sont la plupart du temps présentes simultanément à l'écran, et ceci selon des formules diverses, le plus souvent en bandeau à gauche, mais parfois aussi en éléments séparés affichés en bas de l'écran. Par ailleurs, ces clés sont rarement stables, car en fonction de la page affichée, on aura une variation de ces éléments structurants.( Ceci est une conséquence directe du type de structuration des données dans le corpus : quand le lecteur se trouve dans un fichier ouvert, où sont stockées certaines données du corpus, les clés qu'on lui propose donnent accès aux autres fichiers disponibles. Il lui est même dans certains cas impossible d'identifier par un indice quelconque la partie du corpus dans laquelle il se trouve).
La compétence en lecture devra en ce cas s'appliquer à la compréhension de ce système de variation. Il n'y a plus de repère immuable et transférable en tant que tel, et le lecteur doit savoir identifier les différents types d'informations qui lui sont proposées. Cela requiert de sa part une plus grande connaissance des règles qui régissent le monde de l'information et du document.
Elle devra également permettre l'identification des icônes ou boutons qui permettent d'aller plus loin dans la lecture de l'information ou de revenir en arrière, mais aussi de jouer sur le mode d'affichage à l'écran (page entière, vignette etc.)
Enfin, l'identification des éléments écrits ou iconiques qui permettent d'agir sur le texte, d'en sélectionner tout ou partie, de l'imprimer, de le mettre dans un panier ou d'en constituer un fichier pour un traitement ultérieur.
Il n'a plus de vision globale du texte, mais de portions de texte dans lesquelles il effectue une sélection. Lire consiste ainsi à choisir, à construire un réseau de relations à l'intérieur du texte, à associer à d'autres données. Le lecteur intégre les mots et les images à sa connaissance personnelle en reconstruction permanente.
Le document électronique n'est plus monolithique comme le livre-objet, il est mobile, se présente comme un jeu de cartes dont chacune va s'afficher indépendamment devant le lecteur. Celui-ci ne suit plus les instructions traditionnelles de la lecture pour se déplacer dans le texte, il va construire son propre texte en fonction de l'itinéraire de lecture qu'il s'est choisi.
Mais cette immatérialité du support ne va pas sans problème : elle entraîne aussi un manque de représentation du volume d'information accessible. Un lecteur qui se trouve devant un article d'une encyclopédie en plusieurs volumes peut se faire une idée du stock d'information accessible. Il a également une représentation immédiate de la part d'information prélevée par rapport à celle qui est disponible, appréciant ainsi un degré d'approppriation. Un lecteur qui se trouve devant une page-écran n'en a aucune idée. Même s'il arrive, avec un support comme le CD-Rom, à imaginer un volume d'information comparable à celui d'une encyclopédie en plusieurs volumes (et ce n'est que très approximatif), cela devient tout à fait impossible dans une banque de données accessible en ligne. Le texte y est non seulement dématérialisé, mais déterritorialisé : on ne sait ni où, sous quel forme il existe. Il est pris dans une sorte de courant qui naît et disparait parfois sans laisser de trace. Dans un cyberespace où circulent messages et informations de tous ordres, il est fréquent de lire une information un jour qu'on ne retrouvera pas le lendemain, qu'elle ait été déplacée où qu'elle ait disparu et soit à jamais perdue.
Le lecteur doit donc avoir conscience de l'instabilité de l'information lue, et trouver des stratégies pour garder trace de sa lecture.
Avec l'utilisation d'Internet, ce phénomène prend encore une autre dimension, puisque le lecteur peut s'adresser à l'auteur et participer au débat d'idées. Cependant, le lecteur non averti se trouve souvent devant une difficulté pour identifier cet auteur. Cette fois encore, il ne dispose plus des repères connus qui peuvent lui permettre d'évaluer la nature et la validité scientifique des informations qui lui sont proposées. La grande diversité des sources accessibles rend nécessaire des capacités d'analyse pour distinguer l'informatif de l'anecdotique. En effet, dans ce contexte, chacun devient auteur de ses propres textes, et l'oeuvre « canonique » n'existe plus. Tout texte, toute oeuvre peut évoluer tous les jours au gré des souhaits de leurs auteurs.
Par ailleurs, dès qu'un parcours hypertexte est possible, toute lecture est une écriture potentielle : les chemins originaux empruntés par le lecteur peuvent être incorporés à la structure même des corpus. Celui-ci devient alors co-auteur car il peut soumettre le texte à de multiples opérations.
Il semble aujourd'hui évident que pour développer ses compétences informationnelles, l'élève doit être capable de transférer une compétence en lecture d'un support à l'autre. Les documents électroniques en eux-mêmes n'ont pas sensiblement modifié l'accès intellectuel aux informations. Ils en ont surtout modifié la présentation, développé l'étendue, et ils ont rendu les recherches plus rapides grâce aux possibilités de calcul de l'ordinateur. Le formateur, et ceci concerne le documentaliste en CDI, que sa compétence professionnelle a amené à une analyse des fonctionnalités des outils et des spécificités des supports, met en place des séquences pédagogiques pour aider les élèves à se les approprier. Dans la plupart des cas, outils et supports sont utilisés par « catégorie », et les formations mises en place ont pour objectif d'en permettre un certain niveau de maîtrise. Est-ce là le bon moyen pour favoriser les transferts de compétence ? Cette façon de faire ne se rapproche-t-elle pas des pratiques pédagogiques disciplinaires, où chaque compétence est enfermée dans un champ précis, indépendamment de l'usage qui pourrait en être fait dans un champ voisin ? Quelles similitudes et quelles différences l'élève va-t-il percevoir entre l'utilisation du sommaire et de l'index d'un ouvrage documentaire, d'une encyclopédie papier, et l'utilisation d'une source d'information similaire sur CD-ROM, ou accessible à distance ?
Il serait temps de s'interroger sur la mise en place de formations « transdocumentaires », dont l'objectif serait l'acquisition d'une compétence en lecture transférable à tout type de documents. Des séquences pédagogiques mettant l'élève en situation d'analyser et de comparer des informations mises en scène différemment semblent être actuellement la meilleure piste pour qu'il développe ces compétences en lecture plurielles indispensable dans une société d'information.
En conclusion, il apparaît clairement que le développement des technologies de l'information et des documents électroniques ne fait que réaffirmer la présence de l'écrit dans notre société. L'illettré aujourd'hui ne pourra plus y trouver de place, car nous vivons dans un monde médiatisé où l'écrit est partout, malgré ce qu'on peut prendre pour une prépondérance des images.
Il est courant de penser que ceux qui maîtrisent les formes traditionnelles de l'écrit peuvent également en appréhender les nouvelles formes à l'écran. Ce n'est pas aussi évident. Un nouveau type d'illettré pourrait prochainement apparaître dans les sociétés occidentales : celui qui ne maîtrise par la lecture des écrits à l'écran, qui en ignore les codes et les spécificités. Les systèmes éducatifs ont à prendre en compte cette nouvelle donne pour permettre à tous d'accéder aux différents modes de lecture requis par un environnement en mutation. Quant aux professionnels de l'information, ils doivent tous se sentir concernés en multipliant les formes de médiation pour diversifier parallélement les usages des ressources documentaires.
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