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   64th IFLA General Conference
   August 16 - August 21, 1998

 


Code Number: 125-149(WS)-F
Division Number: III.
Professional Group: Libraries for the Blind joint with
Joint Meeting with: Libraries Serving Disadvantaged Persons: Workshop
Meeting Number: 149.
Simultaneous Interpretation:   No

Les Lecteurs Déficients Visuels dans les Bibliothèques Publiques:
L'exemple de la Salle Louis-Braille à la Mediathèque de la Cité des Sciences et de l'Industrie. Paris

Marie Pierre Tallec
Mediathèque de la Cité des Sciences et de l'industrie
Paris, France


Paper

Nous connaissons bien maintenant les bibliothèques pour aveugles. J'appelle "bibliothèques pour aveugles" les bibliothèques dont la vocation principale est d'adapter des ouvrages pour les déficients visuels et de leur prêter ensuite ces ouvrages adaptés, que ce soient des ouvrages en braille ou des ouvrages enregistrés sur cassettes sonores. Ces bibliothèques, nationales ou associatives, existent parfois depuis de longues années. Elles ont rendu - et rendent encore - d'immenses services aux déficients visuels qui - sans elles - seraient privés de lecture.

En France, parallèlement aux associations comme l'Association Valentin Haüy qui gère l'une des plus importantes bibliothèques braille au monde, les bibliothèques publiques se sont progressivement ouvertes à ces lecteurs particuliers en proposant, depuis plusieurs années déjà, des ouvrages adaptés : braille, sonores ou gros caractères. Plus récemment, certaines de ces bibliothèques publiques ont mis en place un nouveau type de service : des services qui permettent aux lecteurs aveugles de participer à la vie de la bibliothèque, d'avoir au maximum accès aux informations qu'elle offre à ses usagers par le biais d'équipements informatiques.

Le premier de ces services a été créé par la Médiathèque de la cité des sciences, à Paris. La cité des sciences est un grand musée scientifique et technique, sa Médiathèque est une bibliothèque multimédia dont les fonds, scientifiques, techniques et industriels sont à la disposition de tous les publics. Son ouverture en 1986 a précédé de trois ans celle de la salle Louis-Braille.

La Salle Louis-Braille

La salle Louis-Braille constitue un îlot au coeur de la Médiathèque : on y accède par un tapis de guidage, des fleurs odoriférantes et une fontaine en signalent l'approche. A l'intérieur, un espace d'accueil, un bureau et trois cabines de travail.

Nous ouvrons de 14h à 18h du mardi au samedi inclus. Si l'accès est libre, il est plus prudent de prendre rendez-vous car il peut arriver que les trois cabines soient occupées.

Nous sommes deux bibliothécaires qui travaillons là, de manière moins classique peut-être que nos collègues : il nous faut connaître le monde du handicap visuel, assurer un accueil personnalisé, initier les lecteurs au fonctionnement des matériels, les assister en cas de problèmes, corriger certains textes. Plus classiquement, nous acquérons et traitons des ouvrages : non pas des ouvrages en braille ou sonores - nous n'en avons pas du tout - mais un petit nombre d'ouvrages numérisés dont les droits ont, bien sûr, été négociés.

Notre équipement informatique adapté, réparti sur les trois cabines, comprend:

L'équipement d'une cabine en logiciels d'accès à Windows est en cours, ce qui nous permettra d'accéder à certains CD-ROM et à Internet.

Si je ne m'attarde pas sur les matériels c'est que je suis ici pour vous parler de nos usagers. Je n'ai certes pas l'intention de vous présenter une étude sociologique, mais simplement le portrait de quelques personnes dont les besoins sont représentatifs de ceux de beaucoup d'autres.

Ils sont bien sûr très différents les uns des autres, ces lecteurs que nous voyons arriver tout seuls ou avec leur chien, avec leurs parents ou avec des accompagnateurs bénévoles, et ils ont tous des demandes particulières.

Par exemple, Jean : il a vingt six ans. Il est diplômé de l'Université en physique et ingénieur du son. Il y a deux ans, il a été gravement blessé à la tête sur un chantier et il a perdu la vue. Mais, outre son look branché, il a aussi gardé au maximum sa manière de vivre : il continue notamment à lire des revues spécialisées dans le domaine du son, afin de rester en contact avec sa profession car il cherche à retrouver du travail. Il trouve à la Médiathèque - avec l'aide des collègues du secteur concerné - la plupart de ces revues. Quand il souhaite lire un article, il le scanne et, soit il l'écoute en sortie de scanner, soit nous le lui imprimons pour qu'il puisse le lire tranquillement chez lui. Il continue aussi à voyager en stop avec ses amis. Juste avant de partir en voyage en Ecosse il a trouvé sur les rayons un livre très détaillé sur le whisky qui lui a sans doute permis d'encore plus savourer son voyage!

Pierre lui, a 19 ans. Il est venu un mercredi après midi car il n'avait pas classe ce jour là. Il est inscrit dans un centre de formation et il avait besoin d'un ouvrage de physique assez simple où il pourrait trouver des définitions. Notre collègue du secteur physique lui en a trouvé deux qui correspondaient tout à fait à sa demande. Quand Pierre est revenu à la salle Louis-Braille, je lui ai appris à se servir du scanner et, en deux heures, il a numérisé ce qui l'intéressait. J'ai ensuite corrigé le texte, je l'ai remis en forme et Pierre est revenu quelques jours plus tard chercher l'impression en braille que je lui avais faite.

Parfois, nos lecteurs ont besoin de rédiger des textes ou de prendre des notes à partir de certains documents. C'est une possibilité que nous leur offrons en leur laissant notre matériel en libre service. Nous sommes là, bien sûr, en cas de problèmes, car les débuts ne sont pas toujours faciles!

C'est ainsi que nous voyons Myriam presque tous les jours ; cette jeune femme très malvoyante - elle ne peut plus lire qu'en braille - rédige une thèse sur les intellectuels - ingénieurs notamment - qui quittent les pays arabes pour exercer leurs compétences en Europe ou aux Etats Unis.
D'abord, elle a besoin de prendre connaissance de certaines revues - qu'elle peut trouver dans le secteur qui concerne le monde du travail -, ensuite il faut qu'elle les exploite et qu'elle écrive son texte. Elle scanne donc certains articles et les lit. Puis elle rédige et corrige son texte en se servant du clavier de l'ordinateur et de la plage tactile. Enfin, elle copie son travail sur disquette pour le donner à imprimer à l'Université.

L'une de ses amies - le bouche à oreille fonctionne beaucoup parmi nos lecteurs - a elle, beaucoup utilisé un département de la Cité des sciences, la Cité des métiers, qui est un centre de renseignements sur les formations et les professions et qui aide à la recherche d'emploi. Anne a pu ainsi transcrire certaines fiches concernant les formations et certaines offres d'emploi en braille, y répondre après avoir, avec l'aide d'une conseillère, rédigé son Curriculum Vitae et ses lettres de motivation sur les ordinateurs de la salle Louis Braille. Aujourd'hui elle est télé-vendeuse dans l'une des plus grandes sociétés de vente par correspondance de France. Mais la salle Louis-Braille reste un lieu où elle aime revenir : elle s'informe des films ou des conférences que la Médiathèque propose chaque samedi et vient parfois y assister.

Les jeunes aveugles ne sont pas absents de la salle Louis-Braille même s'ils préfèrent souvent occuper leurs loisirs autrement qu'en fréquentant une bibliothèque ce qui est un comportement somme toute assez communément partagé chez les jeunes, qu'ils voient ou pas... Mais si les parents aiment lire, qu'ils transmettent ce plaisir à leurs enfants, qu'ils les accompagnent en bibliothèque, alors, ça devient amusant de venir nous voir.

Julie, par exemple a sept ans et nous la connaissons depuis qu'elle en a cinq. C'est une habituée, et une habituée très exigeante ! Aveugle de naissance, elle commence à bien se débrouiller en braille, mais surtout, elle adore que son papa lui lise des histoires, le soir, dans son lit. Elle lit en même temps que lui, en braille, pour vérifier qu'il lit bien tout... Ils viennent souvent, le samedi, à la Cité des sciences car le musée est accessible aux personnes non-voyantes et que la Cité des enfants est vraiment un espace attractif. Après s'être livrée à des tas d'expériences scientifiques là-bas, Julie vient à la salle Louis-Braille. Elle choisit dans notre collection d'ouvrages sur disquettes celui qu'elle veut lire : celui sur les animaux du bord de mer, ou bien un conte où on parle de loups, elle aime beaucoup les loups. Si elle en a envie, nous lui transcrivons en braille un livre qu'elle a apporté, nous l'imprimons en braille, nous le mettons dans un beau sac de la Médiathèque et elle s'en va avec. Dans quelques années, elle aura chez elle un ordinateur équipé d'une voix de synthèse, mais elle m'a confié que ce serait uniquement si elle était très sage... J'ai peur que ça s'avère difficile!

En plus de la lecture, nos jeunes visiteurs peuvent avoir accès bien sûr aux autres ressources offertes par la Médiathèque des enfants.

Laura a onze ans et ne voit pas du tout. Elle avait déjà l'habitude de venir écouter les contes quand la Médiathèque des Enfants a organisé une exposition d'origamis. Pendant cette exposition il était proposé aux enfants de participer à des ateliers afin qu'ils puissent créer leur propre origami. Après avoir visité l'exposition, Laura a désiré participer à un atelier, ce qui a un peu inquiété nos collègues : l'idée de cette petite fille aveugle découpant du papier les décontenançait. Stéphanie, ma collègue, a donc accompagné Laura. Elles ont utilisé des éléments de puzzle pour tracer des cercles et des carrés et les enfants voyants qui participaient à l'atelier ont trouvé ça "génial". Laura a créé un très bel origami et elle était très fière d'avoir appris quelque chose aux jeunes voyants : c'était un peu le monde à l'envers!

De temps à autre, nous voyons arriver également des jeunes qui ont un travail à faire pour l'école. En général ils s'en souviennent le dernier jour des vacances scolaires, et il faut faire très vite !

C'est comme ça que nous avons connu Laura et Claire, deux soeurs jumelles très malvoyantes, obligées de lire en braille. Elles ont treize ans. Ce jour là, elles avaient besoin de faire un exposé sur le système solaire. A la Médiathèque des enfants, il y a beaucoup de livres sur le sujet. Georgia, l'une des bibliothécaires, les a aidées à choisir des textes dans la collection pour enfants et les a raccompagnées à la salle Louis-Braille. Elles se sont mises à deux pour scanner les paragraphes qui les intéressaient, les copier sur disquette après que nous les ayons corrigés. Elles ont enfin pris la disquette pour pouvoir faire leur exposé chez elles où elles disposent d'un ordinateur équipé d'une voix de synthèse.

Voilà. Je pourrais continuer des heures à vous parler de nos lecteurs, mais je m'arrêterai là. Ces quelques portraits, je vous les ai peints pour simplement vous donner une idée de la façon dont peuvent être utilisés les services pour déficients visuels dans les bibliothèques quand on ne veut pas qu'il deviennent des centres de transcription en braille, ce qui est le risque majeur. En effet, malgré les efforts de toutes les bibliothèques spécialisées, les lecteurs aveugles manquent toujours de livres et accourent dès qu'ils savent que vous avez un scanner. Il est difficile de refuser de transcrire et il faut pouvoir compenser ces refus en proposant d'autres activités. Car si je vous ai parlé de lecteurs agréables, sympathiques et souriants, il faut dire que nous en voyons aussi qui sont mécontents et frustrés car ils n'ont pas compris notre projet.

A ce moment là, il faut savoir bien les réorienter car il ne s'agit pas de se lancer dans des activités qui n'ont rien à voir avec les bibliothèques au prétexte qu'il faut augmenter son nombre de visiteurs. Si les mécontents reviennent, comme c'est arrivé déjà, et qu'ils reviennent cette fois pour la bonne cause, c'est une réelle satisfaction pour nous.

Et quand je dis nous, je voudrais pouvoir parler là de tous les bibliothécaires de la Médiathèque, qui doivent être associés au travail afin que ce soient eux qui répondent aux questions sur les contenus, car ils ont toutes les compétences pour le faire et qu'ainsi le lecteur bénéficie d'un service documentaire de qualité. Cette démarche évite aussi que seuls soient réputés concernés par les publics déficients visuels les personnels affectés à l'espace spécifique (ce que j'appelle le syndrome de Ponce Pilate). Même s'il est important que la spécificité du travail de ces personnels soit reconnue et respectée.

C'est cet ensemble d'exigences qui permet de parler d'intégration; car c'est bien là le sens de l'ouverture de tels services dans les bibliothèques publiques. Nous ne sommes pas là pour concurrencer les bibliothèques associatives ou les éditeurs spécialisés, nous sommes là pour que des lecteurs mal-voyants ou aveugles puissent se sentir des lecteurs comme les autres lorsqu'ils se présentent dans une bibliothèque publique.